aindrais de manquer a la bienseance si je ne vous faisais savoir
d'abord qui je suis.
--C'est bien, c'est bien, reprit le comte, que nous appellerons desormais
tout simplement M. Antoine, comme on l'appelait generalement dans la
contree; vous me direz cela plus tard, si vous le desirez: quant a moi, je
n'ai pas de questions a vous faire, et je pretends remplir les devoirs de
l'hospitalite sans vous faire decliner vos noms et qualites. Vous etes en
voyage, etranger dans le pays, surpris par une nuit d'enfer a la porte de
ma demeure: voila vos titres et vos droits. Par dessus le marche, vous avez
une agreable figure et un air qui me plait; je crois donc que je serai
recompense de ma confiance par le plaisir d'avoir oblige un brave garcon.
Allons, asseyez-vous, mangez et buvez.
--C'est trop de bontes, et je suis touche de votre maniere franche et
affable d'accueillir les voyageurs. Mais je n'ai besoin de rien, Monsieur,
et c'est bien assez que vous me permettiez d'attendre ici la fin de
l'orage. J'ai soupe a Eguzon il n'y a guere plus d'une heure. Ne faites
donc rien servir pour moi, je vous en conjure.
--Vous avez soupe deja? mais ce n'est pas la une raison! Etes-vous donc de
ces estomacs qui ne peuvent digerer qu'un repas a la fois? A votre age,
j'aurais soupe a toutes les heures de la nuit si j'en avais trouve
l'occasion. Une course a cheval et l'air de la montagne, c'est bien assez
pour renouveler l'appetit. Il est vrai qu'a cinquante ans on a l'estomac
moins complaisant; aussi, moi, pourvu que j'aie un demi-verre de bon vin
avec une croute de pain rassis, je me tiens pour bien traite. Mais ne
faites pas de facons ici. Vous etes venu a point, j'allais me mettre a
table, et ma pauvre _petite_ ayant la migraine aujourd'hui, nous etions
tout tristes, Janille et moi, de manger tete a tete: votre arrivee est donc
une consolation pour nous, ainsi que celle de ce brave garcon, mon ami
d'enfance, que je recois toujours avec plaisir. Allons, toi, assieds-toi la
a mon cote, dit-il en s'adressant au paysan, et vous, mere Janille,
vis-a-vis de moi. Faites les honneurs: car vous savez que j'ai la main
malheureuse, et que quand je me mele de decouper, je taille en deux le rot,
l'assiette, la nappe, voire un peu de la table, et cela vous fache."
Le souper que dame Janille avait etale sur la table d'un air de
complaisance, se composait d'un fromage de chevre, d'un fromage de brebis,
d'une assiettee de noix, d'une assiettee de pr
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