aine que je pourrai passer a ma fantaisie?
--Jean, tu es devenu paresseux, je le vois. Voila deja les fruits du
vagabondage.
--Taisez-vous! dit fierement le charpentier; paresseux vous-meme! Jamais le
Jean n'a ete lache, et ce n'est pas a soixante ans qu'il le deviendra.
Mais, voyez-vous, j'ai une idee pour me decider a prendre votre ouvrage.
C'est celle de me batir une petite maison. Puisqu'on m'a vendu la mienne,
j'aime autant en avoir une neuve, faite par moi tout seul, et a mon gout, a
mon idee. Voila pourquoi je veux au moins un jour par semaine.
--C'est ce que je ne souffrirai pas, repondit l'industriel avec roideur. Tu
n'auras pas de maison, tu n'auras pas d'outils a toi, tu coucheras chez
moi, tu mangeras chez moi, tu ne te serviras que de mes outils, tu ...
--En voila bien assez pour me faire voir que je serai votre propriete et
votre esclave. Merci, Monsieur, il n'y a rien de fait."
Et il se dirigea vers la porte.
Emile trouvait les conditions de son pere bien dures; mais le sort de Jean
allait le devenir bien davantage, s'il les refusait. Il essaya de les faire
transiger.
"Brave Jean, dit-il en le retenant, reflechissez, je vous en conjure. Deux
ans sont bientot passes, et grace aux petites economies que vous pourrez
faire pendant ce temps, d'autant plus, ajouta-t-il en regardant M.
Cardonnet d'un air a la fois suppliant et ferme, que mon pere vous nourrira
en sus du salaire convenu ...
--Vrai? dit Jean emu.
--Accorde, repondit M. Cardonnet.
--Eh bien! Jean, vos vetements sont peu de chose, et ma mere et moi nous
nous ferons un plaisir de remonter votre garde-robe. Vous aurez donc, au
bout de deux ans, mille francs nets; c'est assez pour batir une maison de
garcon a votre usage, puisque vous etes garcon.
--Veuf, Monsieur, dit Jean avec un soupir, et un fils mort au service!
--Au lieu que si tu manges ton salaire chaque semaine, reprit Cardonnet
pere sans s'emouvoir, tu le gaspilleras, et au bout de l'annee, tu n'auras
rien bati et rien conserve.
--Vous prenez trop d'interet a moi: qu'est-ce que ca vous fait?
--Cela me fait que mes travaux, interrompus sans cesse, iront lentement,
que je ne t'aurai jamais sous la main, et que dans deux ans, lorsque tu
viendras m'offrir la prolongation de tes services, je n'aurai plus besoin
de toi. J'aurai ete force de confier ton poste a un autre.
--Vous aurez toujours des travaux d'entretien! Croyez-vous que je veuille
vous faire banqueroute?
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