prochain, au
lieu de lui nuire, soit poursuivi comme un forcat evade? Vous n'avez pas
encore un mauvais coeur, quoique riche, parce que vous etes jeune. Eh bien,
sachez donc mes fautes. Pour avoir envoye trois bouteilles de vin de ma
vigne a un camarade qui etait malade, j'ai ete pris par les gabelous comme
vendant du vin sans payer les droits, et comme je ne pouvais pas mentir et
m'humilier pour obtenir une transaction, comme je soutenais la verite qui
est que je n'avais pas vendu une goutte de vin, et que, par consequent, je
ne pouvais pas etre puni, j'ai ete condamne a payer ce qu'ils appellent le
minimum, cinq cents francs d'amende. Excusez, le minimum! cinq cents
francs, le prix de mon travail de l'annee pour un cadeau de trois
bouteilles de vin! Sans compter que mon pauvre confrere, qui les avait
recues, a ete condamne aussi, et c'est ce qui m'a mis le plus en colere.
Et comme je ne pouvais pas payer une pareille somme, on a tout saisi, tout
pille, tout vendu chez moi, jusqu'a mes outils de charpentier. Alors, a
quoi bon payer patente pour un metier qui ne peut plus vous nourrir? J'ai
cesse de le faire, et, un jour que je travaillais en journee hors de chez
moi, autre persecution, querelle avec l'adjoint, ou j'ai failli m'oublier
et le frapper. Que devenir? Le pain manquait dans mon bahut; j'ai pris un
fusil et j'ai ete tuer un lievre dans la bruyere. Autrefois, dans ce
pays-ci, le braconnage etait passe a l'etat de coutume et de droit: les
anciens seigneurs n'y regardaient pas de pres, depuis la revolution; ils
braconnaient meme avec nous, quand ca leur faisait plaisir.
--Temoin M. Antoine de Chateaubrun, qui le fait encore, dit M. Cardonnet
d'un ton ironique.
--Pourvu qu'il n'aille pas sur vos terres, qu'est-ce que cela vous fait?
reprit le paysan irrite. Tant il y a que, pour avoir tue un lievre au
fusil, et pris deux lapins au collet, j'ai ete encore pince et condamne a
l'amende et a la prison. Mais je me suis echappe des pattes des gendarmes,
comme ils me conduisaient a l'_auberge_ du gouvernement; et, depuis ce
temps-la, je vis comme je l'entends, sans vouloir aller tendre mon bras a
la chaine.
--On sait fort bien comment vous vivez, Jean, dit M. Cardonnet. Vous errez
nuit et jour, braconnant en tous lieux et en toute saison, ne couchant
jamais deux nuits de suite au meme endroit, et le plus souvent a la belle
etoile; recevant parfois l'hospitalite a Chateaubrun, dont le chatelain a
ete nourri par votre
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