accepter, pour un homme qu'il connaissait peu, la caution d'un homme
qu'il ne connaissait pas du tout, et dont il ne savait pas seulement le
nom; voila onze heures qui sonnent, et c'est une heure indue.
--Je vais prendre conge de vous, dit le voyageur, et me retirer, en vous
demandant la permission de venir bientot vous remercier de vos bontes.
--Vous ne partirez pas ce soir, s'ecria M. Antoine, c'est impossible, il
pleut a verse, les chemins sont _perdus_, et on n'y voit pas a ses pieds.
Si vous vous obstinez a partir, je veux ne jamais vous revoir."
Il insista si bien, et l'orage etait tellement dechaine en effet, que force
fut au jeune homme d'accepter l'hospitalite.
Sylvain Charasson, c'etait le nom du page de Chateaubrun, apporta une
lanterne, et M. Antoine, prenant le bras du voyageur, le guida, a travers
les decombres de son manoir, a la recherche d'une chambre.
Le pavillon carre etait occupe a tous les etages par la famille de
Chateaubrun; mais, outre ce petit corps de logis reste debout et
fraichement restaure, il y avait, de l'autre cote du preau, une immense
tour, la plus ancienne, la plus haute, la plus epaisse, la plus impossible
a detruire qui fut dans tout le domaine, les salles superposees qui la
remplissaient etant voutees en pierres encore plus solidement que le
pavillon carre. La bande noire, qui, plusieurs annees auparavant, avait
achete ce chateau pour le demolir, et qui en avait emporte tout le bois et
tout le fer, jusqu'au moindre gond de porte, n'avait pas eu besoin
d'effondrer l'interieur des premiers etages, et M. Antoine en avait fait
nettoyer et clore un, pour les rares occasions on il pouvait exercer
l'hospitalite. C'avait ete pour le bonhomme une grande magnificence que de
faire placer des portes et des fenetres, un lit et quelques chaises dans
cet appartement qui n'etait pas necessaire aux besoins de sa famille. Il
avait fait joyeusement cet effort en disant a Janille: "Ce n'est pas tout
d'etre bien, il faut songer a pouvoir heberger honnetement son prochain."
Et pourtant, lorsque le jeune homme entra dans cet affreux donjon feodal,
et qu'il se trouva comme etouffe dans une geole, son coeur se serra, et il
eut volontiers suivi le paysan, qui allait, par gout et par habitude,
dormir sur la litiere fraiche avec Sylvain Charasson. Mais M. Antoine etait
si fier et si content de pouvoir faire les honneurs d'une _chambre d'amis_,
en depit de sa detresse, que le jeune hote crut devoir acce
|