ngeant qu'il y avait la une jeune fille
dont l'aieule avait eu des pages, des vassaux, des meutes, des chevaux de
luxe, tandis que, desormais, cette heritiere d'une ruine effrayante a voir,
allait peut-etre, comme la princesse Nausicaa, laver elle-meme son linge a
la fontaine.
Au moment ou il faisait cette reflexion, il vit, au dernier etage de la
tour carree, une petite fenetre ronde s'ouvrir doucement, et une tete de
femme, portee par le plus beau cou qui se puisse imaginer, se pencher comme
pour parler a quelqu'un dans le preau. Emile Cardonnet, quoiqu'il appartint
a une generation de myopes, avait la vue excellente, et la distance n'etait
pas assez grande pour ne pas lui permettre de distinguer les traits de
cette gracieuse tete blonde, dont le vent faisait voltiger la chevelure un
peu en desordre. Elle lui parut ce qu'elle etait en effet, une tete d'ange,
paree de toute la fraicheur de la jeunesse, douce et noble en meme temps.
Le son de la voix qui se fit entendre etait plein de charmes, et la
prononciation avait une distinction remarquable.
--Jean, disait-elle, il a donc plu toute la nuit? Voyez comme la cour est
remplie d'eau? De ma fenetre je vois tous les pres comme des etangs.
--C'est un deluge, ma chere enfant, repondit d'en bas le paysan, qui
paraissait l'ami intime de la famille, une vraie trombe d'eau! je ne sais
pas si le gros de la nuee a creve ici ou ailleurs, mais jamais je n'ai vu
la fontaine si remplie.
--Les chemins doivent etre abimes, Jean, et vous ferez bien de rester ici.
Mon pere est-il eveille?
--Pas encore, ma Gilberte, mais la mere Janille est deja sur pied.
--Voulez-vous la prier de monter aupres de moi, mon vieux Jean? J'ai
quelque chose a lui demander.
--J'y cours.
La fenetre se referma sans que la jeune fille eut paru remarquer que celle
du voyageur etait ouverte, et qu'il etait la, occupe a la contempler.
Un instant apres, il etait dans la cour, ou la pluie avait, en effet,
creuse de petits torrents a la place des sentiers, et il trouva dans
l'ecurie Sylvain Charasson, qui, tout en pansant son cheval et celui de M.
Antoine, se livrait a des commentaires sur les effets d'une si mauvaise
nuit, avec le paysan dont Emile Cardonnet savait enfin le prenom. Cet homme
lui avait cause la veille une sorte d'inquietude indefinissable, comme s'il
eut porte en lui quelque chose de mysterieux et de fatal. Il avait remarque
que M. Antoine ne l'avait pas nomme une seule fois, et que,
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