ion, reprit le chatelain, dont la candeur s'obstinait a
ne pas comprendre les sentiments hostiles de son commensal a l'endroit de
M. Cardonnet; mais ce serait toujours une perte.
--Et c'est pourquoi je rirais un peu, si un petit coup du sort faisait ce
trou a sa bourse.
--C'est la un mauvais sentiment, mon vieux! Pourquoi en voudrais-tu a cet
etranger? Il ne t'a jamais fait, non plus qu'a moi, ni bien ni mal.
--Il a fait du mal a vous, monsieur Antoine, a moi, a tout le pays. Oui, je
vous dis qu'il en a fait par intention et qu'il en fera tout de bon a tout
le monde. Laissez pousser le bec du livot (la buse), et vous verrez comme
il tombera sur votre poulailler!
--Toujours tes idees fausses, vieux! car tu as des idees fausses, je te
l'ai dit cent fois: tu en veux a cet homme parce qu'il est riche. Est-ce sa
faute?
--Oui, Monsieur, c'est sa faute. Un homme parti peut-etre d'aussi bas que
moi-meme, et qui a fait un pareil chemin, n'est pas un honnete homme.
--Allons donc! que dis-tu la? T'imagines-tu qu'on ne puisse pas faire
fortune sans voler?
--Je n'en sais rien; mais je le crois. Je sais bien que vous etes ne riche
et que vous ne l'etes plus. Je sais bien que je suis ne pauvre et que je le
serai toujours; et m'est avis que si vous etiez parti pour d'autres pays,
sans payer les dettes de votre pere, et que je me fusse mis, de mon cote, a
maquignonner, a tondre et a grappiller sur toutes choses, nous roulerions
carrosse tous les deux, a l'heure qu'il est. Pardon, excuse, si je vous
offense! ajouta d'un ton rude et fier le paysan, en s'adressant au jeune
homme, qui donnait des signes marques d'une emotion penible.
--Monsieur, dit le chatelain, il se peut que vous connaissiez M. Cardonnet,
que vous soyez employe par lui, ou que vous lui ayez quelques obligations.
Je vous prie de ne pas faire attention a ce que dit ce brave villageois.
Il a des idees exagerees sur beaucoup de choses, qu'il ne comprend pas
bien. Au fond, soyez certain qu'il n'est ni haineux, ni jaloux, ni capable
de porter le moindre prejudice a M. Cardonnet.
--J'attache peu d'importance a ses paroles, repondit le jeune etranger. Je
m'etonne seulement, monsieur le comte, qu'un homme que vous honorez de
votre estime ternisse a plaisir la reputation d'un autre homme, sans avoir
le moindre fait a alleguer contre lui et sans rien connaitre de ses
antecedents. J'ai deja demande a votre commensal des renseignements sur ce
M. Cardonnet qu'il para
|