ur suivant, Emile fit seller son cheval avant que ses
parents fussent leves, et franchissant la riviere encore troublee et
courroucee, il prit au galop la route de Chateaubrun.
VIII.
GILBERTE.
La matinee etait superbe et le soleil se levait lorsque Emile se trouva en
face de Chateaubrun. Cette ruine, qui lui etait apparue si formidable a la
lueur des eclairs, avait maintenant un aspect d'elegance et de splendeur
qui triomphait du temps et de la devastation. Les rayons du matin lui
envoyaient un reflet blanc rose, et la vegetation dont elle etait couverte
s'epanouissait coquettement comme une parure digne d'etre le linceul
virginal d'un si beau monument.
De fait il est peu d'entrees de chateaux aussi seigneurialement disposees
et aussi fierement situees que celle de Chateaubrun. L'edifice carre qui
contient la porte et le peristyle en ogive est d'une belle coupe; la pierre
de taille employee pour cette voute et pour les encadrements de la herse
est d'une blancheur inalterable. La facade se deploie sur un tertre gazonne
et plante, mais bien assis sur le roc et tombant en precipice sur un
ruisseau torrentueux. Les arbres, les rochers et les pelouses qui s'en vont
en desordre sur ces plans brusquement inclines ont une grace naturelle que
les creations de l'art n'eussent jamais pu surpasser. Sur l'autre face la
vue est plus etendue et plus grandiose: la Creuse, traversee par deux
ecluses en biais, forme, au milieu des saules et des prairies, deux
cascades molles et doucement melodieuses sur cette belle riviere, tantot si
calme, tantot si furieuse dans son cours, partout limpide comme le cristal,
et partout bordee de ravissants paysages et de ruines pittoresques. Du haut
de la grande tour du chateau on la voit s'enfoncer en mille detours dans
des profondeurs escarpees, et fuir comme une trainee de vif-argent sur la
verdure sombre et parmi les roches couvertes de bruyere rose.
Lorsque Emile eut franchi le pont qui traverse de vastes fosses, combles en
partie, et dont les revers etaient remplis d'herbe touffue et de ronces en
fleurs, il admira la proprete que l'ecoulement des pluies d'orage avait
naguere redonnee a cette vaste terrasse naturelle et a tous les abords de
la ruine. Tous les platras avaient ete entraines ainsi que tous les
fragments de bois epars, et l'on eut dit que quelque fee geante avait lave
avec soin les sentiers et les vieux murs, epure les sables et debarrasse le
passage de tout le dechet d
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