s pretes. De ce
cote-la, rien a esperer; de l'autre cote de la Meuse, courbee en arc
de cercle, des pelotons de soldats bivouaquaient de distance en
distance, et dans l'intervalle de ces bivouacs, separes les uns des
autres par un espace de cinq cents metres a peu pres, se promenaient,
le fusil sur l'epaule, deux ou trois sentinelles qui ne perdaient pas
notre ile de vue. Quand la nuit venait, on doublait le nombre de ces
sentinelles. Des detonations qui me reveillaient pendant mon sommeil
ou troublaient mes promenades sous la pluie nocturne, et dont je
comprenais la sinistre signification, m'indiquaient suffisamment que
ces sentinelles faisaient bonne garde.
Une nuit cependant, n'y tenant plus et redoutant de trouver en
Allemagne des iles plus tristes encore, je me decidai a tenter
l'aventure. Je me dirigeai donc vers la Meuse. Le ciel etait sombre,
la rive deserte. De l'autre cote de l'eau, on voyait les feux de
bivouac allumes. Malgre l'obscurite qui etendait un voile gris sur le
fleuve, on distinguait a la surface claire des eaux des formes
incertaines qui flottaient mollement. Elles s'effacaient et
reparaissaient. J'hesitai un instant, puis enfin, me deshabillant de
la tete aux pieds et ne gardant qu'un calecon, j'entrai dans la
Meuse; j'avais deja de l'eau jusqu'a mi-corps, et la pente du sol ou
je marchais m'indiquait que j'allais bientot perdre pied, lorsqu'une
masse noire passa lentement devant moi et m'effleura la poitrine,
contre laquelle je la sentis flechir et s'enfoncer. Un horrible
frisson me parcourut le corps: cette perspective de nager au milieu
d'un fleuve noir qui m'offrait des cadavres pour compagnons de route
me fit trembler. Je venais d'etre saisi d'une peur nerveuse, d'une
peur irresistible, et, reculant malgre moi, les yeux sur cette masse
indecise qui s'en allait a la derive, a demi paralyse, je regagnai le
bord, ou je m'assis.
Le lendemain, au plein jour, je retournai a l'endroit meme ou j'avais
tente le passage de la Meuse. A quelques pas de la rive, ou l'on
distinguait encore l'empreinte de mes pieds nus, en aval, sur un banc
de vase tapisse de quelques joncs, le corps d'un jeune turco, que je
n'y avais pas vu la veille en inspectant les lieux, etait echoue, le
visage dans l'eau qui le decouvrait et le recouvrait a demi dans son
balancement doux. Ses deux mains, etendues en avant, plongeaient dans
la vase. On me raconta qu'il avait essaye de s'evader dans la soiree,
et que les sentinell
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