mais. On eut dit qu'elle s'animait, comme celle du
Commandeur. Le geste avait quelque chose de plus fier et de plus imperieux
que dans les epoques moins troublees. Son baton de commandement a la main,
le Grand Roi, dont le regard est tourne du cote de Paris, semblait dire a
la ville insurgee, comme le convive de marbre a don Juan: "Repens-toi."
III
La profonde impression que Versailles m'avait produite pendant les jours
de la Commune est loin de s'etre affaiblie depuis ce moment. Des
circonstances bien imprevues ont fait occuper les appartements de la reine
par la direction politique du ministere des Affaires etrangeres. Ma
modeste table de travail a ete, une annee, placee au bout de la salle du
Grand-Couvert, en face du tableau qui represente le _doge Imperiali_
s'humiliant devant Louis XIV, et j'ai eu le temps de reflechir sur les
peripeties etranges, sur les caprices du sort, par suite desquels les
employes du ministere dont je fais partie etaient, pour ainsi dire, campes
au milieu de ces salles legendaires.
Les cinq pieces qui composent l'appartement de la reine ont toutes une
importance historique. A chacune se rattachent les plus curieux souvenirs.
Vous montez l'escalier de marbre. A droite est la salle des gardes de la
reine. C'est la que, le 6 octobre 1789, a 6 heures du matin, les gardes du
corps, victimes de la fureur populaire, defendirent avec tant de courage,
contre une bande d'assassins, l'entree de l'appartement de
Marie-Antoinette. La salle suivante est celle du Grand-Couvert. C'est la
que les reines dinaient solennellement, en compagnie des rois; ces festins
d'apparat avaient lieu plusieurs fois par semaine, et le peuple etait
admis a les contempler. Non seulement comme reine, mais deja comme
dauphine, Marie-Antoinette se soumit a cette bizarre coutume. "Le dauphin
dinait avec elle, nous dit Mme Campan dans ses Memoires, et chaque menage
de la famille royale avait tous les jours son diner public. Les huissiers
laissaient entrer tous les gens proprement mis. Ce spectacle faisait le
bonheur des provinciaux. A l'heure des diners, on ne rencontrait dans les
escaliers que de braves gens qui, apres avoir vu la dauphine manger sa
soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli et qui couraient
ensuite, a perte d'haleine, pour aller voir Mesdames manger leur dessert."
Apres la salle du Grand-Couvert est le salon de la Reine. Le cercle de la
souveraine se tenait dans cette piece, ou l'on faisait l
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