e en glissant sur le
parquet. Le vin se repand sur la terre, et le maitre du logis
accourt, en se prenant la tete dans les mains, lui qui l'avait
reserve pour la plus belle occasion de sa vie, afin que, si Dieu
la lui donnait, il put, dans sa vieillesse, feter un compagnon de
ses jeunes annees, et se rejouir avec lui au souvenir d'un temps
ou l'homme savait autrement et mieux se rejouir. Koukoubenko
promena son regard autour de lui, et murmura:
-- Je remercie Dieu de m'avoir accorde de mourir sous vos yeux,
compagnons. Qu'apres nous, on vive mieux que nous, et que la terre
russe, aimee du Christ, soit eternelle dans sa beaute!
Et sa jeune ame s'envola. Les anges la prirent sous les bras, et
l'empoterent aux cieux: elle sera bien la-bas. "Assieds-toi a ma
droite, Koukoubenko, lui dira le Christ, tu n'as pas trahi la
fraternite, tu n'as pas fait d'action honteuse, tu n'as pas
abandonne un homme dans le danger. Tu as conserve et defendu mon
Eglise." La mort de Koukoubenko attrista tout le monde: et
cependant, les rangs cosaques s'eclaircissaient a vue d'oeil;
beaucoup de braves avaient cesse de vivre. Mais les Cosaques
tenaient bon.
-- Dites-moi, seigneurs, cria Tarass aux _koureni_ restes debout,
y a-t-il encore de la poudre dans les poudrieres? les sabres ne
sont-ils pas emousses? la force cosaque ne s'est-elle pas
affaiblie? les Cosaques ne plient-ils pas encore?
-- Pere, il y a encore assez de poudre; les sabres sont encore
bons, la force cosaque n'est pas affaiblie; les Cosaques n'ont pas
plie.
Et les Cosaques s'elancerent de nouveau comme s'ils n'eussent
eprouve aucune perte. Il ne reste plus vivants que trois _atamans_
de _kouren_. Partout coulent des ruisseaux rouges; des ponts
s'elevent, formes de cadavres des Cosaques et des Polonais. Tarass
regarda le ciel, et vit s'y deployer une longue file de vautours.
Ah! quelqu'un donc se rejouira! Deja, la-bas, on a souleve
Metelitza sur le fer d'une lance; deja, la tete du second
Pisarenko a tournoye dans l'air en clignant des yeux; deja Okhrim
Gouska, sabre de haut et en travers, est tombe lourdement.
-- Soit! dit Tarass, en faisant signe de son mouchoir.
Ostap comprit le geste de son pere; et, sortant de son embuscade,
chargea vigoureusement la cavalerie polonaise. L'ennemi ne soutint
pas la violence du choc; et lui, le poursuivant a outrance, le
rejeta sur la place ou l'on avait plante des pieux et jonche la
terre de troncons de lances. Les chevaux co
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