u'elle soignait
son jardin. Depuis cette epoque j'ai passe ainsi de longues heures a
l'accompagner, je la connais donc bien, et je n'avais donc pas besoin
qu'elle me parlat ou qu'elle me regardat pour savoir ce qui se passait
en elle, pour deviner ses joies et ses chagrins.
--Et vous ne les devinez plus?
--Precisement.
--La jeune fille s'enveloppe d'un voile pudique que l'enfant ne connait
pas.
--On n'enveloppe d'un voile que ce qu'on veut cacher, et je vous assure
que Berengere veut cacher quelque chose.
--Que supposez-vous?
--Est-ce qu'il y a un an, est-ce qu'il y a un mois, elle etait ce
qu'elle est maintenant? elle jouait, elle courait, elle sautait, c'etait
une biche echappee dans le parc; non-seulement elle avait la legerete,
le caprice de la biche, mais encore elle en avait les yeux doux,
limpides, effares et sauvages; n'avez-vous pas remarque comme son
regard a change et comment il a gagne en profondeur ce qu'il a perdu
en limpidite; combien souvent quand je la regarde maintenant ne
detourne-t-elle pas son visage rougissant?
--Justement, dit miss Armagh qui lorsqu'elle avait adopte une idee ne
l'abandonnait pas facilement.
--Et non, mille fois non; je ne dis pas que vous n'ayez pas raison sur
un point, et assurement il ne faut pas considerer une grande fille telle
que Berengere est maintenant avec les memes yeux que nous regardions la
petite fille; la-dessus je suis d'accord avec vous; mais il y a plus que
la metamorphose dont vous parliez.
--On pourrait l'interroger.
--Gardez-vous en bien!
--Cependant en l'interrogeant avec delicatesse et habilete...
--Je n'ai ni cette delicatesse ni cette habilete, et l'eusse-je que je
ne risquerais pas cet examen. Je vous prie donc de ne pas le tenter. Mes
questions n'avaient d'autre but que d'apprendre si vous en saviez
plus que moi. Je vois que nous en sommes au meme point et que nous ne
differons que d'appreciation. Vous avez comme moi remarque que Berengere
n'est plus ce qu'elle etait naguere.
--Assurement.
--Vous vous expliquez ce changement par des causes naturelles, moi je ne
me l'explique pas. Pour savoir qui de nous a raison je trouve inutile de
commettre une imprudence. D'ailleurs il n'y a aucune urgence a brusquer
les choses. Au contraire, il y a tout avantage a les laisser aller comme
elles vont. Tout ce que je vous demande, tout ce que j'attends de votre
sollicitude et de votre perspicacite, c'est d'etudier Berengere a la
derobee
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