regard troublait le comte; etait-il
honnete de tendre un piege a ce loyal garcon?
--J'ai voulu vous voir pour... vous serrer la main, vous allez bien,
n'est-ce pas?
--Mais, parfaitement; et vous-meme, monsieur le comte, et mademoiselle
Berengere?
--Tres-bien, je vous remercie; est-ce que vous avez remarque quelque
chose d'insolite dans Berengere?
--Qui peut vous faire croire?
--Il m'a semble que vous m'adressiez votre demande d'un ton singulier.
C'etait au tour du capitaine de se troubler: il hesitait; il cherchait
des paroles et les pesait.
--Elle m'a paru un peu plus serieuse que de coutume, comme si quelque
chose la preoccupait.
--Ah! vous voyez bien.
--Cependant en bonne, en tres-bonne sante; rose, fraiche, charmante.
Et l'on parlait de Berengere; si bien qu'il n'etait pas possible
d'aborder la question religieuse.
Le rapport entre les deux sujets eut ete trop direct et le capitaine eut
pu avoir des soupcons.
Il valait donc mieux attendre et remettre au lendemain.
Un matin qu'il etait venu de bonne heure, plus decide encore que les
jours precedents, il trouva le capitaine dans son cabinet de travail en
train d'ecrire un ordre presse qu'un entrepreneur attendait, et, pour
passer le temps, il se mit a regarder les uns apres les autres les
livres qui etaient entasses ca et la sur la table, sur des chaises et
meme sur l'appui des fenetres.
Pendant ce temps, le capitaine acheva sa besogne, et, ayant congedie
l'entrepreneur, il vint vers le comte en s'excusant.
--Ce sont la vos lectures ordinaires? demanda M. de la Roche-Odon, qui
dans ces livres avait enfin trouve l'occasion si longtemps cherchee.
--Vous voyez.
--Il y a de tout?
--Ah! certes, non. En dehors de ce qui touche a l'art militaire, je ne
lis guere que des livres d'histoire et de litterature.
--Des recits historiques, des memoires, des vers, des romans?
--Justement.
--Pas de livres philosophiques?
--Non.
Le comte hesita un moment.
--Pas de livres religieux? demanda-t-il enfin assez timidement.
--Pas davantage.
--Pourquoi?
Le moment etait decisif.
Et ce n'etait pas seulement pour M. de la Roche-Odon, c'etait encore et
tout aussi bien pour le capitaine.
En posant sa question, M. de la Roche-Odon pensait a Berengere.
Et, en pesant sa reponse, c'etait aussi a Berengere que le capitaine
pensait.
Tous deux en etaient ainsi arrives au meme point, le pere et l'amant.
M. de la Roche-Odon avait
|