encore, comme elle avait toujours eu, pour ces vieux amis une tendresse
expansive qui se traduisait par mille prevenances.
De meme il n'y avait pas a s'inquieter non plus de l'abbe Armand ni de
l'abbe Colombe.
L'abbe Armand l'amusait, et ses sentiments pour l'abbe Colombe etaient
ceux de toutes les personnes qui approchaient l'abbe, le respect et
l'affection.
La question d'antipathie ainsi resolue, restait celle de la sympathie.
Dieudonne de la Fardouyere, au vu de tout le monde, cherchait a lui
plaire, mais il ne paraissait point que jusque-la il eut reussi: tout au
contraire.
Elle se moquait de lui ouvertement, sans acrimonie, bien entendu, mais
tres-franchement: de sa myopie, de son lorgnon, qui ne manquait jamais
de tomber de dessus son nez, toujours juste au moment ou Dieudonne
allait faire ou dire quelque chose; de ses allures de hanneton ebloui
par la lumiere, et se cognant partout; de sa locution habituelle: "Je
vais vous en conter une bien bonne."
Assurement, celui-la n'etait pas dangereux.
De meme le marquis de la Villeperdrix ne l'etait pas davantage, et
cela pour des raisons differentes: pour sa mine grave, pour sa tenue
compassee, pour son esprit froid, enfin pour ses trente-six ans et les
rares cheveux qu'il ramenait habilement sur son front luisant. Si elle
ne se moquait pas de lui, elle etait disposee, malgre les pretentions
qu'il affichait, a le classer dans la categorie des amis respectables,
avec le comte O'Donoghue et le baron McCombie.
Et Richard de Gardilane?
Il ne fallait pas une bien grande perspicacite pour reconnaitre que
Berengere etait autre avec le capitaine de Gardilane qu'avec les
convives habituels de la Rouvraye.
Elle ne se moquait pas de lui, comme elle le faisait de Dieudonne.
Elle ne le traitait pas serieusement, ceremonieusement, comme le marquis
de la Villeperdrix.
En realite elle etait avec lui bizarre, fantasque et tres-inegale
d'humeur.
Et cela avec une mobilite etrange.
A de certains moments rieuse, expansive, familiere.
A d'autres, reservee, contrainte, mal a l'aise, rougissante.
Et toujours sans que les uns ou les autres de ces mouvements soudains
fussent motives par une cause apparente.
Elle recevait le capitaine en souriant, elle engageait une conversation
enjouee; puis tout a coup, sans qu'on put comprendre pourquoi, elle se
taisait, et personne ne pouvait lui arracher une parole.
Si encore elle avait toujours ete ainsi, mais justem
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