paroles avaient d'importance, M. de la
Roche-Odon poursuivit:
--Bien que nous n'ayons jamais echange nos idees a ce sujet, j'ai peine
a croire qu'un homme tel que vous considere les idees religieuses comme
inutiles ou nuisibles.
C'etait une main que le comte lui tendait, il la saisit, et voyant qu'il
n'avait plus a repondre par un oui ou non il voulut faire un effort pour
sauver la situation.
Car il n'y avait pas a esperer que le comte lui permit de s'echapper:
cet entretien etait voulu et prepare; M. de la Roche-Odon lui faisait
subir un examen de conscience, et il ne s'arreterait assurement dans son
interrogatoire que quand il aurait obtenu tout ce qu'il s'etait promis
d'apprendre.
Dans ces conditions il fallait donc renoncer a des echappatoires qui
n'etaient ni dignes, ni meme habiles, et mieux valait s'expliquer sinon
completement au moins bravement et en faisant soi-meme la part du feu.
--Je suis si eloigne de considerer les idees religieuses comme inutiles
ou comme nuisibles, que ce qui me parait le plus grave dans la crise que
notre epoque traverse, c'est l'affaiblissement et la disparition de ces
idees.
--Jamais elles n'ont ete plus vivaces.
--Je ne pense pas comme vous sur ce sujet, et en voyant la religion
chretienne perdre une part de son influence sur l'homme, en la voyant
aujourd'hui telle qu'elle est demeuree, se mettre en lutte ouverte avec
la societe moderne telle que celle-ci est devenue; je me demande avec
inquietude ce qui resultera de cette lutte. Et la question est d'autant
plus serieuse que ni la science ni la philosophie ne prennent la place
laissee vide par la religion. Ce qui disparait n'est pas remplace, et
quand le soleil qui eclaira le monde pendant de longs siecles s'eteint,
je m'effraye en ne voyant pas de phares s'allumer. J'aurais voulu que
la philosophie (bien entendu je parle d'une science nouvelle) suivit
l'humanite sur les hauteurs libres ou celle-ci est parvenue, et en lui
montrant d'une main la route parcourue, lui indiquat de l'autre le but
a atteindre. Et c'est justement parce que je n'apercois nulle part ce
guide, que je me desinteresse de questions qui, pour moi, sont en ce
moment insolubles. De la ce que vous appelez mon indifference. De la
surtout ma tolerance; elle est d'autant plus grande que j'admire, que
j'envie ceux qui croient.
C'etait en hesitant, en parlant lentement, en cherchant ses mots, que
le capitaine avait fait cette reponse qu'il avait mainte
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