eant ces blocs, prouvait trop bien a Consuelo que la resistance
etait impossible, et qu'il valait mieux esperer de trouver une autre
issue en retournant sur ses pas, que de se porter aux dernieres
extremites en l'irritant. Elle essaya de l'attendrir, de le persuader et
de le dominer par ses paroles.
"Zdenko, lui disait-elle, que fais-tu la, insense? Albert te reprochera
ma mort. Albert m'attend et m'appelle. Je suis son amie, sa consolation
et son salut. Tu perds ton ami et ton frere en me perdant."
Mais Zdenko, craignant de se laisser gagner, et resolu de continuer son
oeuvre, se mit a chanter dans sa langue sur un air vif et anime, tout en
batissant d'une main active et legere son mur cyclopeen.
Une derniere pierre manquait pour assurer l'edifice. Consuelo le
regardait faire avec consternation. Jamais, pensait-elle, je ne pourrai
demolir ce mur. Il me faudrait les mains d'un geant. La derniere pierre
fut posee, et bientot elle s'apercut que Zdenko en batissait un second,
adosse au premier. C'etait toute une carriere, toute une forteresse qu'il
allait entasser entre elle et Albert. Il chantait toujours, et paraissait
prendre un plaisir extreme a son ouvrage.
Une inspiration merveilleuse vint enfin a Consuelo. Elle se rappela la
fameuse formule heretique qu'elle s'etait fait expliquer par Amelie, et
qui avait tant scandalise le chapelain.
"Zdenko! s'ecria-t-elle en bohemien, a travers une des fentes du mur mal
joint qui la separait deja de lui; ami Zdenko, _que celui a qui on a
fait tort te salue!_"
A peine cette parole fut-elle prononcee, qu'elle opera sur Zdenko comme
un charme magique; il laissa tomber l'enorme bloc qu'il tenait, en
poussant un profond soupir, et il se mit a demolir son mur avec plus de
promptitude encore qu'il ne l'avait eleve; puis, tendant la main a
Consuelo, il l'aida en silence a franchir cette ruine, apres quoi il la
regarda attentivement, soupira etrangement, et, lui remettant trois clefs
liees ensemble par un ruban rouge, il lui montra le chemin devant elle,
en lui disant:
"Que celui a qui on a fait tort te salue!
--Ne veux-tu pas me servir de guide? lui dit-elle. Conduis-moi vers ton
maitre."
Zdenko secoua la tete en disant:
"Je n'ai pas de maitre, j'avais un ami. Tu me le prends. La destinee
s'accomplit. Va ou Dieu te pousse; moi, je vais pleurer ici jusqu'a ce
que tu reviennes."
Et, s'asseyant sur les decombres, il mit sa tete dans ses mains, et ne
voulut plus dire
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