ux ans, oui, deux ans que j'en suis malade, que
j'en deviens fou chaque fois que je la rencontre!... J'en perds
l'esprit, entendez-vous, mon cher? Et je vous le dis, a vous, mon rival,
destine a me supplanter parce que vous avez pour vous la musique du
sentiment, et que les femmes les plus sensees se laissent endormir par
cette musique-la... Cela ne les amuse pas toujours, mais cela flatte
leur vanite quelquefois plus que les parures et que le bonheur. Eh bien,
je le repete, je ne vous en veux pas. C'est votre droit, et, si vous
m'en voulez de ce que j'ai fait, vous manquez d'esprit. Nous ne nous
devons rien l'un a l'autre, n'est-ce pas? nous n'avons donc pas de
motifs pour nous hair. Au fond, je vous aime, je ne sais pas pourquoi;
un instinct, un caprice d'esprit, peut-etre une idee romanesque, parce
que vous aimez la meme femme que moi, et que nous devons nous retrouver
plus d'une fois emboitant le pas derriere elle. Qui sait? nous serons
peut-etre econduits tous deux, et peut-etre aussi vous d'abord..., moi
plus tard... Enfin je n'y renonce pas, vous voyez! Je vous le
promettrais que je mentirais, et je suis la franchise meme. Je pars
demain matin; c'est ce que vous desirez? Je le desire egalement. Votre
Obernay m'ennuie, et cette belle-soeur me gene. Adieu donc, mon
tres-cher, et au revoir... Ah! attendez! vous etes pauvre, et vous
croyez qu'on peut se passer d'argent en amour. Grave erreur! il vous en
faut, ou il vous en faudra bientot, ne fut-ce que pour payer une chaise
de poste au besoin! Voila mon blanc-seing. Donnez-le n'importe ou, a
n'importe quel banquier,... on vous comptera la somme que vous jugerez
necessaire. Je m'en rapporte a votre delicatesse et a votre discretion!
Direz-vous a present que les juifs n'ont rien de bon?
Je lui saisis le bras au moment ou il me presentait sa signature, qu'il
venait de tracer rapidement avec quelques mots d'argot financier sur une
feuille de papier blanc. Je le forcai de remettre cela sur la table sans
que mes mains y eussent touche.
--Un instant! lui dis-je; avant de nous quitter, je veux savoir, je veux
comprendre l'etrangete de votre conduite. Je ne me paye pas de paroles
vagues, et je ne vous crois pas fou. Vous me prenez pour un rival, pour
un rival heureux qui plus est, et vous voulez me fournir les moyens qui,
selon vous, me sont necessaires pour assouvir ma passion! Quel est ce
calcul? Repondez, repondez, ou je prendrai pour une grave injure l'offre
que vous m
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