risque de me tuer, pour le lui rapporter en un clin
d'oeil. Je tenais son ombrelle quand elle etait assise, je debarrassais
son echarpe des brins de mousse qu'elle avait ramasses en frolant les
sapins; je lui trouvais des fraises la ou il n'y en avait pas; je crois
que j'aurais fait fleurir des camellias sur le glacier. Et je prenais
tous ces soins classiques, je lui rendais tous ces hommages, aujourd'hui
passes de mode et des lors assez rebattus, avec une ivresse de bonheur
qui m'empecha d'etre ridicule. Elle essaya bien d'abord de s'en moquer;
mais, voyant que je me livrais tout entier a son dedain et a son ironie
sans me plaindre et sans me decourager, elle devint serieuse, et je
sentis qu'a chaque instant elle s'attendrissait.
Le soir, dans sa chambre, apres le depart des fusees qui nous
signalerent l'expedition dans une region moins elevee que la veille,
mais plus eloignee au flanc de la montagne, elle reprit sa broderie, et
les fiances reprirent leur etude. Je m'assis aupres d'elle et lui offris
de lui faire la lecture a voix basse.
--Je veux bien, dit-elle avec douceur en me montrant mon volume de
poesies sur son gueridon. J'ai tout lu, mais les vers se laissent
relire.
--Non, pas ceux-ci! ils sont mediocres.
--Ils sont jeunes, ce n'est pas la meme chose. N'avons-nous pas fait
hier le panegyrique de la jeunesse?
--Il y a jeunesse et jeunesse, celle qui attend l'amour et celle qui
l'eprouve. La premiere parle beaucoup pour ne rien dire, la seconde ne
dit rien et comprend l'infini.
--Voyons toujours le reve de la premiere!
--Soit! On pourra s'en moquer, n'est-ce pas?
--Non! je prends l'enfant sous ma protection. J'ai lu, dans les dix
lignes de la preface, que l'auteur n'avait que vingt ans. A propos,
croyez-vous qu'il les ait encore?
--Le livre est date de 1832; mais c'est egal, si vous voulez que
l'auteur n'ait pas vieilli...
--Quel age avez-vous donc, vous?
--Je n'en sais rien; j'ai l'age que Votre Majeste voudra.
Je retrouvais le courage de plaisanter, parce que je voyais Obernay
m'ecouter d'une oreille. Quand il crut s'etre convaincu que je n'avais
que des riens a echanger avec cette femme reputee par lui frivole, il
n'ecouta plus; mais alors je ne trouvai plus rien a dire, l'emotion me
prit a la gorge, et je sentis qu'il me serait impossible de lire une
page. Alida s'en apercut bien, et, reprenant le livre:
--Je vois, dit-elle, que vous meprisez beaucoup mon petit poete; moi,
sans
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