heureuse de me voir, que je suis a vos pieds, que vous me
menacez, que je me meurs de crainte et de joie, que vous pouvez me
chasser, et que je peux mourir. Voila tout ce que je sais. Me voila! que
voulez-vous faire de moi? Vous etes tout dans ma vie. Suis-je quelque
chose dans la votre? Rien ne me le prouve, et je ne sais pas ou j'ai
pris la folie de me le persuader et de venir jusqu'a vous. Parlez,
parlez, consolez-moi, rassurez-moi, effacez l'horreur des jours que je
viens de passer loin de vous, ou dites-moi tout de suite que vous me
chassez a jamais. Je ne peux plus vivre sans une solution, car je perds
la raison et la volonte. Ayez-en pour deux, dites-moi ce que je vais
devenir!
--Devenez mon unique ami, reprit-elle; devenez la consolation, le salut
et la joie d'une ame solitaire, rongee d'ennuis, et dont les forces,
longtemps inactives, sont tendues vers un besoin d'aimer qui la devore.
Je ne vous dissimule rien. Vous etes arrive dans un moment de ma vie ou,
apres des annees d'aneantissement, je sentais qu'il fallait aimer ou
mourir. J'ai trouve en vous la passion subite, sincere, mais terrible.
J'ai eu peur, j'ai cent fois juge que le remede a mon ennui allait etre
pire que le mal, et, quand vous m'avez quittee, je vous ai presque beni
en vous maudissant; mais votre eloignement a ete inutile. J'en ai plus
souffert que de toutes mes terreurs, et, a present que vous voila, je
sens, moi aussi, qu'il faut que vous decidiez de moi, que je ne
m'appartiens plus, et que, si nous nous quittons pour toujours, je perds
la raison et la force de vivre!
J'etais enivre de cet abandon, l'espoir me revenait; mais elle, elle
revint bien vite a ses menaces.
--Avant tout, dit-elle, pour etre heureuse de votre affection, il faut
que je me sente respectee. Autrement, l'avenir que vous m'offrez me fait
horreur. Si vous m'aimez seulement comme mon mari m'a aimee, et comme
bien d'autres apres lui m'ont offert de m'aimer, ce n'est pas la peine
que mon coeur soit coupable et perde le sentiment de la fidelite
conjugale. Vous m'avez dit la-bas que je n'etais capable d'aucun
sacrifice. Ne voyez-vous pas que, meme en vous aimant comme je fais, je
suis une ame sans vertu, une epouse sans honneur? Quand le coeur est
adultere, le devoir est deja trahi; je ne me fais donc pas d'illusion
sur moi-meme. Je sais que je suis lache, que je cede a un sentiment que
la morale reprouve, et qui est une insulte secrete a la dignite de mon
mari. Eh bie
|