ience le moment de me rendre a
Geneve. Enfin ce mois de fievre et de vertige, qui etait le terme de mes
aspirations les plus ardentes, touchait a son dernier jour.
V
J'avais promis a Obernay de frapper a sa porte la veille de son mariage.
Le 31 juillet, a cinq heures du matin, je m'embarquais sur un bateau a
vapeur pour traverser le Leman, de Lausanne a Geneve.
Je n'avais pas ferme l'oeil de la nuit, tant je craignais de manquer
l'heure du depart. Accable de fatigue et roule dans mon manteau, je pris
quelques instants de repos sur un banc. Quand j'ouvris les yeux, le
soleil se faisait deja sentir. Un homme qui paraissait dormir egalement
etait assis sur le meme banc que moi. Au premier coup d'oeil que je
jetai sur lui, je reconnus mon ami anonyme du Simplon.
Cette rencontre aux portes de Geneve m'inquieta un peu; j'avais commis
la faute d'ecrire d'Altorf a Obernay en lui donnant de ma promenade un
faux itineraire. Cet exces de precaution devenait une maladresse
facheuse, si la personne qui m'avait vu sur la route de Valvedre etait
de Geneve et en relation avec les Valvedre ou les Obernay. J'aurais donc
voulu me soustraire a ses regards; mais le bateau etait fort petit, et,
au bout de quelques instants, je me retrouvai face a face avec mon
aimable philosophe. Il me regardait avec attention, comme s'il eut
hesite a me reconnaitre; mais son incertitude cessa vite, et il m'aborda
avec la grace d'un homme du meilleur monde. Il me parla comme si nous
venions de nous quitter, et, s'abstenant, par grand savoir-vivre, de
toute surprise et de toute curiosite, il reprit la conversation ou nous
l'avions laissee sur la route de Brigg. Je retombai sous le charme, et,
sans songer davantage a le contredire, je cherchai a profiter de cette
aimable et sereine sagesse qu'il portait en lui avec modestie, comme un
tresor dont il se croyait le depositaire et non le maitre ni
l'inventeur.
Je ne pouvais resister au desir de l'interroger, et cependant, a
plusieurs reprises, ma meditation laissa tomber l'entretien. J'eprouvais
le besoin de resumer interieurement et de savourer sa parole. Dans ces
moments-la, croyant que je preferais etre seul et ne desirant nullement
se produire, il essayait de me quitter; mais je le suivais et le
reprenais, pousse par un attrait inexplicable et comme condamne par une
invisible puissance a m'attacher aux pas de cet homme, que j'avais
resolu d'eviter. Quand nous approchames de Geneve, les passag
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