egret; mais je croyais devoir conserver le plus strict
incognito, n'etant guere eloigne du but de mon mysterieux voyage. Enfin
vint le jour ou je pouvais compter qu'Alida serait seule chez elle avec
Paule et ses enfants, et j'arrivai au versant des Alpes qui plonge
jusqu'aux rives du lac Majeur. Je reconnus de loin la villa que je
m'etais fait decrire par Obernay. C'etait une delicieuse residence a
mi-cote, dans un eden de verdure et de soleil, en face de cette etroite
et profonde perspective du lac, auquel les montagnes font un si
merveilleux cadre, a la fois austere et gracieuse. Comme je descendais
vers la vallee, un orage terrible s'amoncelait au midi, et je le voyais
arriver a ma rencontre, envahissant le ciel et les eaux d'une teinte
violacee rayee de rouge brulant. C'etait un spectacle grandiose, et
bientot le vent et la foudre, repetes par mille echos, me donnerent une
symphonie digne de la scene qu'elle emplissait. Je me refugiai chez des
paysans auxquels je me donnai pour un peintre paysagiste, et qui,
habitues a des hotes de ce genre, me firent bon accueil dans leur
demeure isolee.
C'etait une toute petite ferme, proprement tenue et annoncant une
certaine aisance. La femme causait volontiers, et j'appris, pendant
qu'elle preparait mon repas, que ce petit domaine dependait des terres
de Valvedre. Des lors je pouvais esperer des renseignements certains sur
la famille, et, tout en ayant l'air de ne pas la connaitre et de ne
m'interesser qu'aux petites affaires de ma vieille hotesse, je sus tout
ce qui m'interessait moi-meme au plus haut point. M. de Valvedre etait
venu, le 4 juillet, chercher sa soeur ainee et l'aine de ses fils pour
les conduire a Geneve; mais, comme mademoiselle Juste voulait laisser la
maison et les affaires en ordre, elle n'avait pu partir le jour meme.
Madame de Valvedre etait arrivee le 5 avec mademoiselle Paule et son
fiance. Il y avait eu des explications. Tout le monde savait bien que
madame et mademoiselle Juste ne s'entendaient pas. Mademoiselle Juste
etait un peu dure, et madame un peu vive. Enfin on etait tombe d'accord,
puisqu'on s'etait quitte en s'embrassant. Les domestiques l'avaient vu.
Mademoiselle Juste avait demande a emmener mademoiselle Paule a Geneve
pour s'occuper de son trousseau, et madame de Valvedre, quoique pressee
par tout son monde, avait prefere rester seule au chateau avec le plus
jeune de ses fils, M. Paolino, le filleul de mademoiselle Paule; mais
l'enfant
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