h! je peux bien vous le dire, a present
que vous l'avez deja meprisee et refoulee en moi, j'ai senti pour vous
une sympathie etrange..., perfide, a coup sur! J'ai reve, j'ai cru me
sentir aimee; mais, des le lendemain, vous me haissiez, vous
m'outragiez... Et puis vous vous repentiez aussitot, vous demandiez
pardon avec des larmes, j'ai recommence a croire. Vous etiez si jeune et
vous paraissiez si naif! Trois jours se sont passes, et... voyez comme
je suis coquette et rusee! je me suis sentie heureuse et je vous le dis!
Il me semblait avoir enfin rencontre mon ami, mon frere..., mon soutien
dans une vie dont vous ne pouvez deviner les souffrances et les
amertumes!... Je m'endormais tranquille, insensee. Je me disais "C'est
peut-etre enfin _lui_ qui est la!" Mais, aujourd'hui, je vous ai vu
sombre et charge d'ennuis a mes cotes. La peur m'a prise, et j'ai voulu
savoir... A present, je sais, et me voila tranquille, mais morne comme
le chagrin sans remede et sans espoir. C'est une derniere illusion qui
s'envole, et je rentre dans le calme de la mort.
Je me sentis vaincu, mais aussi j'etais brise. Je n'avais pas prevu les
suites de ma passion, ou du moins je n'avais reve qu'une succession de
joies ou de douleurs terribles, auxquelles je m'etais vaillamment
soumis. Alida me montrait un autre avenir tout a fait inconnu et plus
effrayant encore. Elle m'imposait la tache d'adoucir son existence
brisee et de lui donner un peu de repos et de bonheur au prix de tout
mon bonheur et de tout mon repos. Si elle voulait sincerement m'eloigner
d'elle, c'etait le plus habile expedient possible. Epouvante, je gardai
un cruel silence en baissant la tete.
--Eh bien, reprit-elle avec une douceur qui n'etait pas sans melange de
dedain, vous voyez! j'ai bien compris, et j'ai bien fait de vouloir
comprendre: vous ne m'aimez pas, et l'idee de remplir envers moi un
devoir de coeur vous ecrase comme une condamnation a mort! Je trouve
cela tout simple et tres-juste, ajouta-t-elle en me tendant la main avec
un doux et froid sourire, et, comme vous etes trop sincere pour essayer
de jouer la comedie, je vois que je peux vous estimer encore. Restons
amis. Je ne vous crains plus, et vous pouvez cesser de vous craindre
vous-meme. Vous aurez la vie triomphante et facile des hommes qui ne
cherchent que le plaisir. Vous etes dans le reel et dans le vrai, n'en
soyez pas humilie. L'_anonyme_ ne fait plus de vers, m'avez-vous dit: il
a bien raison, puisque
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