mains sur ma bouche.
--Tais-toi, dit-elle, ne trouble pas mon bonheur par des plaintes et
n'offense pas l'auguste paix de cette nuit sublime par des murmures
contre le sort. Si j'etais sure de la misericorde divine pour ma faute,
je ne serais pas sure pour cela de la duree de ton amour apres ma chute.
--Ainsi tu ne crois ni a Dieu ni a moi! m'ecriai-je.
--Si cela est, plains-moi, car le doute est une grande douleur que je
traine depuis que je suis au monde, et tache de me guerir, mais en
menageant ma frayeur et en me donnant confiance: confiance en Dieu
d'abord! Dis-moi, y crois-tu fermement, au Dieu qui nous voit, nous
entend et qui nous aime? Reponds, reponds! As-tu la foi, la certitude?
--Pas plus que toi, helas! Je n'ai que l'esperance. Je n'ai pas ete
longtemps berce des douces chimeres de l'enfance. J'ai bu a la source
froide du doute, qui coule sur toutes choses en ce triste siecle; mais
je crois a l'amour, parce que je le sens.
--Et moi aussi, je crois a l'amour que j'eprouve; mais je vois bien que
nous sommes aussi malheureux l'un que l'autre, puisque nous ne croyons
qu'a nous-memes.
Cette triste appreciation qui lui echappait me jeta dans une melancolie
noire. Etait-ce pour nous juger ainsi l'un l'autre, pour mesurer en
poetes sceptiques la profondeur de notre neant, que nous etions venus
savourer l'union de nos ames a la face des cieux etoiles? Elle me
reprocha mon silence et ma sombre attitude.
--C'est ta faute, lui repondis-je avec amertume. L'amour, dont tu veux
faire un raisonnement, est de sa nature une ivresse et un transport. Si,
au lieu de regarder dans l'inconnu en supputant les chances de l'avenir,
qui ne nous appartient pas, tu etais noyee dans les voluptes de ma
passion, tu ne te souviendrais pas d'avoir souffert, et tu croirais a
deux pour la premiere fois de ta vie.
--Allons-nous-en, dit-elle, tu me fais peur! Ces voluptes, ces ivresses
dont tu parles, ce n'est pas l'amour, c'est la fievre, c'est
l'etourdissement et l'oubli de tout, c'est quelque chose de brutal et
d'insense qui n'a ni veille ni lendemain. Reprends les rames, je veux
m'en aller!
Il me vint une sorte de rage. Je saisis les rames et je l'emmenai plus
au large. Elle eut peur et menaca de se jeter dans le lac, si je
continuais ce silencieux et farouche voyage, qui ressemblait a un
enlevement. Je la ramenai vers la rive sans rien dire. J'etais en proie
a un violent orage interieur. Elle se laissa tomber sur le sabl
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