lique, nombreux et
chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'ecriture artiste,
pour fixer toutes les nuances de la pensee; mais il faut discerner avec
une extreme lucidite toutes les modifications de la valeur d'un mot
suivant la place qu'il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et
d'adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases
differentes, diversement construites, ingenieusement coupees, pleines
de sonorites et de rythmes savants. Efforcons-nous d'etre des stylistes
excellents plutot que des collectionneurs de termes rares.
Il est, en effet, plus difficile de manier la phrase a son gre, de
lui faire tout dire, meme ce qu'elle n'exprime pas, de l'emplir de
sous-entendus, d'intentions secretes et non formulees, que d'inventer
des expressions nouvelles ou de rechercher, au fond de vieux
livres inconnus, toutes celles dont nous avons perdu l'usage et la
signification, et qui sont pour nous comme des verbes morts.
La langue francaise, d'ailleurs, est une eau pure que les ecrivains
manieres n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler. Chaque siecle a
jete dans ce courant limpide, ses modes, ses archaismes pretentieux et
ses preciosites, sans que rien surnage de ces tentatives inutiles, de
ces efforts impuissants. La nature de cette langue est d'etre claire,
logique et nerveuse. Elle ne se laisse pas affaiblir, obscurcir ou
corrompre.
Ceux qui font aujourd'hui des images, sans prendre garde aux
termes abstraits, ceux qui font tomber la grele ou la pluie sur la
_proprete_ des vitres, peuvent aussi jeter des pierres a la
simplicite de leurs confreres! Elles frapperont peut-etre les confreres
qui ont un corps, mais n'atteindront jamais la simplicite qui n'en a
pas.
GUY DE MAUPASSANT.
La Guillette, Etretat, septembre 1887.
PIERRE ET JEAN
I
--Zut! s'ecria tout a coup le pere Roland qui depuis un quart d'heure
demeurait immobile, les yeux fixes sur l'eau, et soulevant par moments,
d'un mouvement tres leger, sa ligne descendue au fond de la mer.
Mme Roland, assoupie a l'arriere du bateau, a cote de Mme Rosemilly
invitee a cette partie de peche, se reveilla, et tournant la tete vers
son mari:
--Eh bien!... eh bien!... Gerome!
Le bonhomme furieux repondit:
--Ca ne mord plus du tout. Depuis midi je n'ai rien pris. On ne devrait
jamais pecher qu'entre hommes; les femmes vous font embarquer toujours
trop tard.
Ses deux fils, Pierre et Jean, qui tenaien
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