e etait prete, il le vit aussitot debout
que prevenu.
L'etranger enfonca son chapeau sur ses yeux, s'enveloppa de son
manteau, mit sa valise sous son bras, et, comme Baptiste avait eu
le soin de faire approcher le marchepied aussi pres que possible
de la porte, il s'elanca dans la chaise de poste sans avoir ete vu
du postillon.
Baptiste referma la portiere sur lui; puis, s'adressant a l'homme
aux grosses bottes:
-- Tout est paye jusqu'a Valence, n'est-ce pas, postes et guides?
demanda-t-il.
-- Tout; vous faut-il un recu? repondit en goguenardant le
postillon.
-- Non; mais M. le marquis de Ribier, mon maitre, ne desire pas
etre derange jusqu'a Valence.
-- C'est bien, repondit le postillon avec le meme accent
gouailleur, on ne derangera pas le citoyen marquis. Allons houp!
Et il enleva ses chevaux en faisant resonner son fouet avec cette
bruyante eloquence qui dit a la fois aux voisins et aux passants:
"Gare ici, gare la-bas, ou sinon tant pis pour vous! je mene un
homme qui paye bien et qui a le droit d'ecraser les autres."
Une fois dans la voiture, le faux marquis de Ribier ouvrit les
glaces, baissa les stores, leva la banquette, mit sa valise dans
le coffre, s'assit dessus, s'enveloppa dans son manteau, et, sur
de n'etre reveille qu'a Valence, s'endormit comme il avait
dejeune, c'est-a-dire avec tout l'appetit de la jeunesse.
On fit le trajet d'Orange a Valence en huit heures; un peu avant
d'entrer dans la ville, notre voyageur se reveilla.
Il souleva un store avec precaution et reconnut qu'il traversait
le petit bourg de la Paillasse: il faisait nuit; il fit sonner sa
montre: elle sonna onze heures du soir.
Il jugea inutile de se rendormir, fit le compte des postes a payer
jusqu'a Lyon, et prepara son argent.
Au moment ou le postillon de Valence s'approchait de son camarade
qu'il allait remplacer, le voyageur entendit celui-ci qui disait a
l'autre:
-- Il parait que c'est un ci-devant; mais, depuis Orange, il est
recommande, et, vu qu'il paye vingt sous de guides, faut le mener
comme un patriote.
-- C'est bon, repondit le Valentinois, on le menera en
consequence.
Le voyageur crut que c'etait le moment d'intervenir, il souleva
son store.
-- Et tu ne feras que me rendre justice, dit-il, un patriote,
corbleu! je me vante d'en etre un, et du premier calibre encore;
et la preuve, tiens, voila pour boire a la sante de la Republique!
Et il donna un assignat de cent francs au postillon
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