, triste,
maussade aux autres et importun a moi-meme. Ah! vous etes heureux,
Roland! vous avez la famille, vous avez la gloire, vous avez la
jeunesse, vous avez -- ce qui ne gate rien meme chez un homme --
vous avez la beaute. Aucune joie ne vous manque, aucun bonheur ne
vous fait defaut; je vous le repete, Roland, vous etes un homme
heureux, bien heureux.
-- Bon! dit Roland, et vous oubliez mon anevrisme, milord.
Sir John regarda le jeune homme d'un air d'incredulite. En effet,
Roland paraissait jouir d'une sante formidable.
-- Votre anevrisme contre mon million de rente, Roland, dit avec
un sentiment de profonde tristesse lord Tanlay, pourvu qu'avec
votre anevrisme vous me donniez cette mere qui pleure de joie en
vous revoyant, cette soeur qui se trouve mal de bonheur a votre
retour, cet enfant qui se pend a votre cou comme un jeune et beau
fruit a un arbre jeune et beau; pourvu qu'avec tout cela encore
vous me donniez ce chateau aux frais ombrages, cette riviere aux
rives gazonneuses et fleuries, ces lointains bleuatres, ou
blanchissent, comme des troupes de cygnes, de jolis villages avec
leurs clochers bourdonnants; votre anevrisme, Roland, la mort dans
trois ans, dans deux ans, dans un an, dans six mois; mais six mois
de votre vie si pleine, si agitee, si douce, si accidentee, si
glorieuse! et je me regarderai comme un homme heureux.
Roland eclata de rire, de ce rire nerveux qui lui etait
particulier.
-- Ah! dit-il, que voila bien le touriste, le voyageur
superficiel, le juif errant de la civilisation, qui, ne s'arretant
nulle part, ne peut rien apprecier, rien approfondir, juge chaque
chose par la sensation qu'elle lui apporte, et dit, sans ouvrir la
porte de ces cabanes ou sont renfermes ces fous qu'on appelle des
hommes: derriere cette muraille on est heureux! Eh bien, mon cher,
vous voyez bien cette charmante riviere, n'est-ce pas? ces beaux
gazons fleuris, ces jolis villages: c'est l'image de la paix, de
l'innocence, de la fraternite; c'est le siecle de Saturne, c'est
l'age d'or; c'est l'Eden; c'est le paradis. Eh bien, tout cela est
peuple de gens qui s'egorgent les uns les autres; les jungles de
Calcutta, les roseaux du Bengale ne sont pas peuples de tigres
plus feroces et de pantheres plus cruelles que ces jolis villages,
que ces frais gazons, que les bords de cette charmante riviere.
Apres avoir fait des fetes funeraires au bon, au grand, a
l'immortel Marat, qu'on a fini, Dieu merci! par jeter
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