le
dissuader du suicide, d'elever deux enfants de sexe different et de les
marier un jour "a la face de Dieu, sans autre temple que le desert, sans
autre pretre que l'amour; il y aura peut-etre alors, grace a nous, un
couple heureux et pur sur la surface de la terre." Le projet n'agree pas a
Jacques. Il a fait ses preparatifs pour le grand voyage. Volontiers il
dirait a Fernande: "Je sais tout, et je pardonne a tous deux; sois ma
fille, et qu'Octave soit mon fils; laissez-moi vieillir entre vous deux,
et que la presence d'un ami malheureux, accueilli et console par vous,
appelle sur vos amours la benediction du ciel." Il n'ose pas hasarder
cette tentative insolite, dont le sublime pourrait dechoir au ridicule. En
quelque glacier de la Suisse il ira trouver une mort qui paraitra
accidentelle; mais d'abord il defend a Sylvia de maudire les deux amants:
"Ils ne sont pas coupables, ils s'aiment. Il n'y a pas de crime la ou il y
a de l'amour sincere." Dans une de ses dernieres lettres, le ressouvenir
de Fernande lui inspire cette emouvante et poetique invocation: "Oh! je
t'ai aimee, simple fleur que le vent brisait sur sa tige, pour ta beaute
delicate et pure, et je t'ai cueillie, esperant garder pour moi seul ton
suave parfum, qui s'exhalait a l'ombre et dans la solitude; mais la brise
me l'a emporte en passant, et ton sein n'a pu le retenir. Est-ce une
raison pour que je te haisse et te foule aux pieds? Non! je te reposerai
doucement dans la rosee ou je t'ai prise, et je te dirai adieu, parce que
mon souffle ne peut plus te faire vivre, et qu'il en est un autre dans ton
atmosphere qui doit te relever et te ranimer. Refleuris donc, o mon beau
lis! je ne te toucherai plus." Et cette voix de Jacques, qui semble deja
d'outre-tombe, a la langueur d'un murmure, la melancolie d'une plainte et
la gravite d'un pardon. C'est la majeste de la mort absolvant les miseres
de la vie.
CHAPITRE XII
_LES LETTRES D'UN VOYAGEUR_
Selon l'humeur naturelle des ecrivains qui utilisent leurs douleurs et
leurs larmes, George Sand s'appretait a tirer un parti litteraire de la
crise morale qu'elle venait de traverser. Alfred de Musset a peine parti,
elle avait effectue avec Pagello une petite excursion pedestre dans les
Alpes venitiennes. Elle imagina d'en amalgamer les impressions avec les
ressouvenirs et sans doute les remords de son amour brise. Cet alliage
etrange produisit un metal d'une trempe merveilleuse. Jamais elle n'en a
ret
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