ses ennemis, car un homme comme le Nabab ne saurait
etre indifferent a aucun, lisaient, commentaient, se tracaient vis-a-vis
de lui une ligne de conduite pour ne pas se compromettre. Il faut croire
que l'article d'aujourd'hui etait bien tape tout de meme; car Jansoulet
le cocher nous racontait que tantot au Bois son maitre n'avait pas
echange dix saluts en dix tours de lac, quand ordinairement il ne garde
pas plus son chapeau sur sa tete qu'un souverain en promenade. Puis,
lorsqu'ils sont rentres, voila une autre affaire. Les trois garcons
venaient d'arriver a la maison, tout en larmes et consternes, ramenes du
college Bourdaloue par un bon Pere, dans l'interet meme de ces pauvres
petits, auxquels on avait donne un conge temporaire pour leur eviter
d'entendre au parloir ou dans la cour quelques mechants propos, une
allusion blessante. La-dessus le Nabab s'est mis dans une fureur
terrible qui lui a fait demolir un service de porcelaine, et il parait
que sans M. de Gery il serait alle tout d'un pas casser la tete au
Moessard.
"Et qu'il aurait bien fait, dit M. Noel entrant sur ces derniers mots,
tres anime, lui aussi... Il n'y a pas une ligne de vraie dans l'article
de ce coquin. Mon maitre n'etait jamais venu a Paris avant l'annee
derniere. De Tunis a Marseille, de Marseille a Tunis, voila tous ses
voyages. Mais cette fripouille de journaliste se venge de ce que nous
lui avons refuse vingt mille francs.
--En cela vous avez eu grand tort, fit alors M. Francis, le Francis a
Monpavon, ce vieil elegant dont l'unique dent branle au milieu de la
bouche a chaque mot qu'il dit, mais que ces demoiselles regardent tout
de meme d'un oeil favorable a cause de ses belles manieres... Oui, vous
avez eu tort. Il faut savoir menager les gens, tant qu'ils peuvent nous
servir ou nous nuire. Votre Nabab a tourne trop vite le dos a ses amis
apres le succes; et de vous a moi, mon cher, il n'est pas assez fort
pour se payer de ces coups-la."
Je crus pouvoir prendre la parole a mon tour:
--Ca, c'est vrai, M. Noel, que votre bourgeois n'est plus le meme
depuis son election. Il a adopte un ton, des manieres. Avant-hier, a la
_Territoriale_, il nous a fait un branle-bas dont on n'a pas d'idee. On
l'entendait crier en plein conseil: "Vous m'avez menti, vous m'avez
vole et rendu voleur autant que vous... Montrez-moi vos livres, tas de
droles." S'il a traite le Moessard de cette facon, je ne m'etonne plus
que l'autre se venge dans son journa
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