llee, contenant son emotion: car elle savait maintenant ce qui se
cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu'elle evitat toute
explication avec le docteur, comme si elle en avait craint l'issue.
Apres madame Jenkins, c'est le Nabab qui se precipite, et prenant entre
ses deux grosses pattes les deux mains long et finement gantees de
l'artiste, exprime sa reconnaissance avec une cordialite qui lui met a
lui-meme des larmes dans les yeux.
"C'est un grand honneur que vous m'avez fait, Mademoiselle, d'associer
mon nom au votre, mon humble personne a votre triomphe, et de prouver a
toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne croyez
pas aux calomnies repandues sur mon compte. Vrai, c'est inoubliable.
J'aurai beau couvrir d'or et de diamants ce buste magnifique, je vous le
devrai toujours..."
Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu'eloquent, il est oblige
de faire place a tout ce qu'attire le talent rayonnant, la personnalite
en vue: des enthousiasmes frenetiques qui, faute d'un mot pour
s'exprimer, disparaissent comme ils sont venus, des admirations
mondaines, animees de bonne volonte, d'un vif desir de plaire, mais dont
chaque parole est une douche d'eau froide, et puis les solides poignees
de main des rivaux, des camarades, quelques-unes tres franches, d'autres
qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte; le grand dadais
pretentieux dont l'eloge imbecile doit vous transporter d'aise et
qui, pour ne point trop vous gater, l'accompagne "de quelques petites
reserves," et celui qui, en vous accablant de compliments, vous demontre
que vous ne savez pas le premier mot du metier, et le bon garcon affaire
qui s'arrete juste le temps de vous dire dans l'oreille "que Chose, le
fameux critique, n'a pas l'air content." Felicia ecoutait tout avec le
plus grand calme, soulevee par son succes au-dessus des petitesses
de l'envie, et toute fiere quand un veteran glorieux, quelque vieux
compagnon de son pere lui jetait un "c'est tres bien, petiote!" qui la
reportait au passe, au petit coin jadis reserve pour elle dans l'atelier
paternel, alors qu'elle commencait a se tailler un peu de gloire dans la
renommee du grand Ruys. Mais, en somme, les felicitations la laissaient
assez froide, parce qu'il lui en manquait une plus desirable que toute
autre et qu'elle s'etonnait de n'avoir pas encore recue... Decidement
elle pensait a lui plus qu'elle n'avait pense a aucun homme. Etait-ce
enfin l'amou
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