surcroit de richesse et d'effet, et mirant de partout du bleu, le bleu
d'un ciel qui va sourire entre l'ecart de deux averses.
Au dedans, des rires, des bavardages, des bonjours, des impatiences, des
jupes retroussees, des satins bouffants sur le fin plissage des jupons
et les rayures tendres des bas de soie, des flots de franges, de
dentelles, de volants retenus d'une main en paquets trop lourds,
chiffonnes a la diable... Puis, pour relier les deux cotes du tableau,
les prisonniers encadres par la voute du porche et dans le noir de son
ombre, avec le fond immense tout en lumiere, des valets de pied courant
sous des parapluies, des noms de cochers, des noms de maitres qu'on
criait, des coupes s'approchant au pas, ou montaient des couples
effares.
"La voiture de M. Jansoulet!"
Tout le monde se retourna, mais on sait que cela ne le genait guere,
lui. Et tandis qu'au milieu de ces elegantes, de ces illustres, de ce
tout Paris varie qui se trouvait la avec un nom a mettre sur chacune de
ces figures, le bon Nabab posait un peu, en attendant ses gens, une
main nerveuse et bien gantee se tendit vers lui, et le duc de Mora, qui
allait rejoindre son coupe, lui jeta en passant avec cette effusion que
le bonheur donne aux plus reserves:
"Mes compliments, mon cher depute..."
C'etait dit a haute voix et chacun put l'entendre: "Mon cher depute."
* * * * *
Il y a dans la vie de tous les hommes une heure d'or, une cime lumineuse
ou ce qu'ils peuvent esperer de prosperites, de joies, de triomphes,
les attend et leur est donne. Le sommet est plus ou moins haut, plus ou
moins rugueux et difficile a monter; mais il existe egalement pour tous,
pour les puissants et pour les humbles. Seulement, comme ce plus long
jour de l'annee ou le soleil a fourni tout son elan et dont le lendemain
semble un premier pas vers l'hiver, ce _summum_ des existences humaines
n'est qu'un moment a savourer, apres lequel on ne peut plus que
redescendre. Cette fin d'apres-midi du 1er mai, rayee de pluie et de
soleil, il faut te la rappeler, pauvre homme, en fixer a jamais l'eclat
changeant dans ta memoire. Ce fut l'heure de ton plein ete aux fleurs
ouvertes, aux fruits ployant leurs rameaux d'or, aux moissons mures dont
tu jetais si follement les glanes. L'astre maintenant palira, peu a peu
retire et tombant, incapable bientot de percer la nuit lugubre ou ton
destin va s'accomplir.
XV
MEMOIRES D'UN GARCON D
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