ame. Deja, j'etais
reduit a la condition de cadavre anime, absolument prive d'appetit et
d'aliments, desseche jusque dans la moelle des os; je depensais mes
interminables journees a ne rien faire, assis au milieu des oreillers;
et mes nuits, plus penibles encore, sans fermer la paupiere. J'etais si
horriblement maigre, qu'on aurait pu etudier l'anatomie a travers la
peau tendue et transparente de mon squelette.
Dans cet aneantissement de mes facultes, lequel avait resiste a toutes
les ressources medicales, mon docteur proposa de m'envoyer a la campagne
pour me remettre entre les mains de la Nature a qui en appelle souvent
Hippocrate: le mal venait de l'abus du systeme intellectuel; la matiere
avait besoin de rentrer dans ses droits et dans son equilibre. On me
prescrivit donc, pour remplacer les juleps et les sirops, un air vif et
pur,--le depart de Paris, bien entendu,--des exercices gradues, propres
a retablir la vigueur du corps en la sollicitant, une alimentation sobre
et frugale, l'abandon complet de tout travail d'esprit, et meme l'oubli
des objets materiels de mes affections litteraires. C'etait une
penitence difficile, et, pour y satisfaire, je me resignai a m'enfuir,
sans dire adieu a mes bouquins; cette separation m'aurait trop coute. On
m'entraina, malgre moi, loin de cette partie de mon individualite, et,
tandis que je les rangeais dans mon souvenir, comme sur les rayons de
ma bibliotheque, une chaise de poste m'emportait, chaudement empaquete,
vers le lieu de mon exil sanitaire.
Ce fut aux environs de Bourges, dans l'ancienne province du Berry, que
des amis genereux m'accueillirent, a leur foyer des vacances, comme
dans ces bons vieux temps d'hospitalite, ou la porte du chateau feodal
s'ouvrait aussitot, au son des coquilles du pelerin; ou le chevalier
blesse trouvait une prompte guerison, dans la paix du manoir, qui
l'avait recu mourant.
Apres un voyage qui raviva mes souffrances secouees a chaque tour
de roue, je parvins a ma destination, a cette riante colonie de la
Chaumelle, qui avait garde l'aspect et les coutumes d'un fief du moyen
age, sous la direction paternelle de son seigneur. Lorsque je debarquai,
tremblant de fievre, d'espoir et de plaisir, dans ce charmant ermitage,
qui me promettait une heureuse et paisible fin, sinon le rappel a la
sante et a la vie, je me vis entoure tout a coup d'enfants, empresses a
conduire, a soutenir ma demarche chancelante! L'un relevait les plis de
ma robe de
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