de son
acquisition; et elle forcait Gaussin a admirer ce front tetu, ces
traits fins et delicats sous leur hale paysan, cette perfection de
petit corps aux reins rables, aux bras pleins, aux jambes de petit
faune, longues et nerveuses, deja duvetees dans le bas. Elle
s'oubliait a contempler cette beaute d'enfant.
"Couvre-le donc, il va avoir froid..." dit Jean dont la voix la
fit tressaillir, comme tiree d'un reve; et tandis qu'elle le
bordait tendrement, le petit avait de longs soupirs sanglotes, une
houle de desespoir malgre le sommeil.
La nuit, il se mit a parler tout seul:
-- _Guerlaude me_, _menine_...
-- Qu'est-ce qu'il dit?... ecoute...
Il voulait etre _guerlaude_; mais que signifiait ce mot patois?
Jean, a tout hasard, allongea le bras et se mit a remuer la lourde
couchette; a mesure l'enfant se calmait et il se rendormit en
tenant dans sa grosse petite main rugueuse, la main qu'il croyait
etre celle de sa "menine", morte depuis quinze jours.
Ce fut comme un chat sauvage dans la maison, qui griffait,
mordait, mangeait a part des autres, avec des grondements quand on
s'approchait de son ecuelle; les quelques mots qu'on en tirait
etaient d'un langage barbare de bucherons morvandiaux, que jamais
sans les Hettema, du meme pays que lui, personne n'aurait pu
comprendre. Pourtant, a force de bons soins, de douceur, on
parvint a l'apprivoiser un peu, "un pso", comme il disait. Il
consentit a changer les guenilles dans lesquelles on l'avait amene
contre les vetements chauds et propres dont l'approche, les
premiers jours, le faisait "querrier" de fureur, en vrai chacal
qu'on voudrait affubler d'un manteau de levrette. Il apprit a
manger a table, l'usage de la fourchette et de la cuiller, et a
repondre, quand on lui demandait son nom, qu'au pays "i li dision
Josaph".
Quant a lui donner les moindres notions elementaires, il n'y
fallait pas songer encore. Eleve en plein bois, sous une hutte de
charbonnage, la rumeur d'une nature bruissante et fourmillante
hantait sa caboche dure de petit sylvain, comme le bruit de la mer
la spirale d'un coquillage; et nul moyen d'y faire entrer autre
chose, ni de le garder a la maison, meme par les temps les plus
durs. Dans la pluie, la neige, quand les arbres denudes se
dressaient en coraux de givre, il s'echappait, battait les
buissons, fouillait les terriers avec d'adroites cruautes de furet
chasseur, et lorsqu'il rentrait, rabattu par la faim, il y avait
toujours dans
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