de force contre
lui... Eh bien, oui, je me marie... Mon pere y tenait, tu sais
bien; mais qu'est-ce que cela peut te faire puisque je dois
partir?...
Elle se degagea, voulant garder sa colere:
-- Et c'est pour m'apprendre ca, que tu m'as fait faire une lieue
a travers bois... Tu t'es dit: Au moins on ne l'entendra pas, si
elle crie... Non, tu vois... pas un eclat, pas une larme. D'abord,
j'en ai plein le dos du joli garcon que tu es... tu peux t'en
aller, ce n'est pas moi qui te ferai revenir... Sauve toi donc
dans les Iles avec ta femme, ta petite, comme on dit chez toi...
Elle doit etre propre, la petite... laide comme un gorille, ou
alors enceinte a pleine ceinture... car tu es aussi jobard que
ceux qui te l'ont choisie.
Elle ne se retenait plus, lancee dans un debordement d'injures,
d'infamies, jusqu'a ne pouvoir begayer a la fin que des mots
"lache... menteur... lache..." sous son nez, en provocation, comme
on montre le poing.
C'etait au tour de Jean de l'ecouter sans rien dire, sans aucun
effort pour l'arreter. Il l'aimait mieux ainsi, insultante,
ignoble, la vraie fille du pere Legrand; la separation serait
moins cruelle... En eut-elle conscience? Mais elle se tut tout a
coup, tomba, la tete et le buste en avant, dans les genoux de son
amant, avec un grand sanglot qui la secouait toute, et d'ou
sortait une plainte entrecoupee:
-- Pardon, grace... je t'aime, je n'ai que toi... Mon amour, ma
vie, ne fais pas ca... ne me laisse pas... qu'est-ce que tu veux
que je devienne?
L'emotion le gagnait... Oh! voila ce qu'il avait redoute... Les
larmes montaient d'elle a lui, et il renversait la tete en arriere
pour les garder dans ses yeux debordants, essayant de l'apaiser
par des mots betes, et toujours cet argument raisonnable:
-- Mais puisque je devais partir...
Elle se redressa avec ce cri qui devoilait tout son espoir:
-- Eh! tu ne serais pas parti. Je t'aurais dit: Attends, laisse-
toi aimer encore... Crois-tu que cela se retrouve deux fois d'etre
aime comme je t'aime?... Tu as le temps de te marier, tu es si
jeune... moi, bientot, je serai finie... je ne pourrai plus, et
alors nous nous quitterons naturellement.
Il voulut se lever; il eut ce courage, et de lui dire que tout ce
qu'elle faisait etait inutile; mais s'accrochant a lui, se
trainant agenouillee dans la boue restee a ce creux de vallon,
elle le forcait a reprendre sa place, et devant lui, dans ses
jambes, avec le souffle de ses lev
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