is du sculpteur se reunirent en conseil de famille pour
deliberer sur le sort de cette malheureuse enfant sans parents ni
fortune. On avait trouve cinquante francs dans le vide-poche ou
Sebastien mettait son argent sur un meuble de l'atelier bien connu des
besoigneux et qu'ils visitaient sans scrupule. Pas d'autre heritage, du
moins en numeraire; seulement un mobilier d'art et de curiosite des plus
somptueux, quelques tableaux de prix et des creances egarees couvrant a
peine des dettes innombrables. On parla d'organiser une vente. Felicia,
consultee, repondit que cela lui etait egal qu'on vendit tout, mais,
pour Dieu! qu'on la laissat tranquille.
La vente n'eut pas lieu cependant, grace a la marraine, la bonne
Crenmitz, qu'on vit apparaitre tout a coup, tranquille et douce comme
d'habitude:
"Ne les ecoute pas, ma fille, ne vends rien. Ta vieille Constance a
quinze mille francs de rente qui t'etaient destines. Tu en profiteras
des a present, voila tout. Nous vivrons ensemble ici. Tu verras, je ne
suis pas genante. Tu feras ta sculpture, je menerai la maison. Ca te
va-t-il?"
C'etait dit si tendrement, dans cet enfantillage d'accent des etrangers
s'exprimant en francais, que la jeune fille en fut profondement emue.
Son coeur petrifie s'ouvrit, un flot brulant deborda de ses yeux, et
elle se precipita, s'engloutit dans les bras de l'ancienne danseuse:
"Ah! marraine, que tu es bonne... Oui, oui, ne me quitte plus... reste
toujours avec moi... La vie me fait peur et degout... J'y vois tant
d'hypocrisie, de mensonge!" Et la vieille femme s'etant arrange un nid
soyeux et brode dans cet interieur qui ressemblait a un campement de
voyageurs charges de richesses de tous les pays, la vie a deux s'etablit
entre ces natures si differentes.
Ce n'etait pas un petit sacrifice que Constance avait fait au cher demon
de quitter sa retraite de Fontainebleau pour Paris, dont elle avait la
terreur. Du jour ou cette danseuse, aux caprices extravagants, qui fit
couler des fortunes princieres entre ses cinq doigts ecartes, descendue
des apotheoses un reste de leur eblouissement dans les yeux, avait
essaye de reprendre l'existence commune, d'administrer ses petites
rentes et son modeste train de maison, elle avait ete en butte a une
foule d'exploitations effrontees, d'abus faciles devant l'ignorance
de ce pauvre papillon effare de la realite, se cognant a toutes ses
difficultes inconnues. Chez Felicia, la responsabilite devint autrement
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