ait vu de drole. Ah! j'en ai entendu de ces
aventures, j'en ai vu defiler de ces interieurs. Naturellement j'ai
fait aussi mon petit effet avec l'histoire de mon garde-manger a la
_Territoriale_, l'epoque ou je mettais mon fricot dans la caisse vide,
ce qui n'empechait pas notre vieux caissier, tres formaliste, de changer
le mot de la serrure tous les deux jours, comme s'il y avait eu dedans
tous les tresors de la Banque de France. M. Louis a paru prendre
plaisir a mon anecdote. Mais le plus etonnant, ca ete ce que le petit
Bois-l'Hery, avec son accent de voyou parisien, nous a raconte du menage
de ses maitres...
Marquis et marquise de Bois-l'Hery, deuxieme etage, boulevard Haussmann.
Un mobilier comme aux Tuileries, du satin bleu sur tous les murs,
des chinoiseries, des tableaux, des curiosites, un vrai musee, quoi!
debordant jusque sur le palier. Service tres cale: six domestiques,
l'hiver livree marron, l'ete livree nankin. On voit ces gens-la partout,
aux petits lundis, aux courses, aux premieres representations, aux bals
d'ambassade, et toujours leur nom dans les journaux avec une remarque
sur les belles toilettes de madame et le chic epatant de monsieur...
Eh bien! tout ca n'est rien du tout que du fla-fla, du plaque, de
l'apparence, et quand il manque cent sous au marquis, personne ne les
lui preterait sur ses possessions... Le mobilier est loue a la quinzaine
chez Fitily, le tapissier des cocottes. Les curiosites, les tableaux
appartiennent au vieux Schwalbach, qui adresse la ses clients et leur
fait payer doublement cher parce qu'on ne marchande pas quand on croit
acheter a un marquis, a un amateur. Pour les toilettes de la marquise,
la modiste et la couturiere les lui fournissent a l'oeil chaque saison,
lui font porter les modes nouvelles, un peu cocasses parfois, mais que
la societe adopte ensuite parce que madame est tres belle femme encore
et reputee pour l'elegance; c'est ce qu'on appelle une _lanceuse_.
Enfin, les domestiques! Provisoires comme le reste, changes tous les
huit jours au gre du bureau de placement qui les envoie la faire
un stage pour les places serieuses. Si l'on n'a ni repondants, ni
certificats, qu'on tombe de prison ou d'ailleurs, Glanand, le grand
placier de la rue de la Paix, vous expedie boulevard Haussmann. On
sert une, deux semaines, le temps d'acheter les bons renseignements du
marquis, qui, bien entendu, ne vous paye pas et vous nourrit a peine;
car dans cette maison-la les fourn
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