erveaux lasses. Apres qu'elle avait mis des larmes dans les
yeux de tout ce qui l'aimait, cherche les souvenirs penibles ou les
inquietudes enervantes, touche le fond brutal et meurtrissant de sa
fatigue, comme il fallait toujours que quelque drolerie se melat en elle
aux choses les plus tristes, elle evaporait ce qui lui restait d'ennui
dans une espece de cri de fauve embete, un baillement rugi qu'elle
appelait "le cri du chacal au desert" et qui faisait palir la bonne
Crenmitz surprise dans l'inertie de sa quietude.
Pauvre Felicia! C'etait bien un affreux desert que sa vie quand l'art
ne l'egayait pas de ses mirages, un desert morne et plat ou tout se
perdait, se nivelait sous la meme intensite monotone, amour naif d'un
enfant de vingt ans, caprice d'un duc passionne, ou tout se recouvrait
d'un sable aride souffle par les destins brulants. Paul sentait ce
neant, voulait s'y soustraire; mais quelque chose le retenait, comme un
poids qui deroule une chaine, et, malgre les calomnies entendues, les
bizarreries de l'etrange creature, il s'attardait delicieusement aupres
d'elle, quitte a n'emporter de cette longue contemplation amoureuse que
le desespoir d'un croyant reduit a n'adorer que des images.
L'asile, c'etait la-bas, dans ce quartier perdu ou le vent soufflait si
fort sans empecher la flamme de monter blanche et droite, c'etait le
cercle de famille preside par Bonne Maman. Oh! celle-la ne s'ennuyait
pas, elle ne poussait jamais le cri du "chacal au desert." Sa vie etait
trop bien remplie: le pere a encourager, a soutenir, les enfants a
instruire, tous les soins materiels du logis auquel la mere manque, ces
preoccupations eveillees avec l'aube et que le soir endort, a moins
qu'il les ramene en reve, un de ces devouements infatigables, mais sans
effort apparent, tres commodes pour le pauvre egoisme humain, parce
qu'ils dispensent de toute reconnaissance et se font a peine sentir
tellement ils ont la main legere. Ce n'etait pas la fille courageuse,
qui travaille pour nourrir ses parents, court le cachet du matin au
soir, oublie dans l'agitation d'un metier tous les embarras de la
maison. Non, elle avait compris la tache autrement, abeille sedentaire
restreignant ses soins au rucher, sans un bourdonnement au dehors
parmi le grand air et les fleurs. Mille fonctions: tailleuse, modiste,
racommodeuse, comptable aussi, car M. Joyeuse, incapable de toute
responsabilite, lui laissait la libre disposition des ressources,
ma
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