isserie, pendant que de Gery, emu d'entendre le temoignage de cette
bouche pure en face des calomnies de quelques gandins evinces ou de
camarades jaloux, se sentait releve, rendu a la fierte de son amour.
Cette sensation lui parut si douce qu'il revint la chercher tres
souvent, non seulement les soirs de lecon, mais d'autres soirs encore,
et qu'il oubliait presque d'aller voir Felicia, pour le plaisir
d'entendre Aline parler d'elle.
Un soir, comme il sortait de chez les Joyeuse, Paul trouva sur le palier
le voisin, M. Andre, qui l'attendait et prit son bras febrilement:
"M. de Gery, lui dit-il d'une voix tremblante, avec des yeux flamboyants
derriere leurs lunettes, la seule chose qu'on put voir de son visage
dans la nuit, j'ai une explication a vous demander. Voulez-vous monter
chez moi un instant?..."
Il n'y avait entre ce jeune homme et lui que des relations banales de
deux habitues de la meme maison, qu'aucun autre lien ne rattache, qui
semblent meme separes par une certaine antipathie de nature, de maniere
d'etre. Quelle explication pouvaient-ils donc avoir ensemble? Il le
suivit fort intrigue.
L'aspect du petit atelier transi sous son vitrage, la cheminee vide,
le vent soufflant comme au dehors et faisant vaciller la bougie, seule
flamme de cette veillee de pauvre et de solitaire refletee sur des
feuillets epars tout griffonnes, enfin cette atmosphere des endroits
habites ou l'ame des habitants se respire, fit comprendre a de Gery
l'abord exalte d'Andre Maranne, ses longs cheveux rejetes et flottants,
cette apparence un peu excentrique, bien excusable quand on la paye
d'une vie de souffrances et de privations, et sa sympathie alla tout de
suite vers ce courageux garcon dont il devinait d'un coup d'oeil
toutes les fiertes energiques. Mais l'autre etait bien trop emu pour
s'apercevoir de cette evolution. Sitot la porte refermee, avec l'accent
d'un heros de theatre s'adressant au traitre seducteur:
"Monsieur de Gery, lui dit-il, je ne suis pas encore un Cassandre..."
Et devant la stupefaction de son interlocuteur:
"Oui, oui, nous nous entendons... J'ai tres bien compris ce qui vous
attire chez M. Joyeuse, et l'accueil empresse qu'on vous y fait ne m'a
pas echappe non plus... Vous etes riche, vous etes noble, on ne peut
hesiter entre vous et le pauvre poete qui fait un metier ridicule pour
laisser tout le temps d'arriver au succes, lequel ne viendra peut-etre
jamais... Mais je ne me laisserai pas voler m
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