ui vint aux joues devant ce reproche:
"Coquette, moi?... et avec qui?
--Avec ca..." dit l'Irlandais en montrant le buste simiesque et superbe.
Elle essaya de rire:
"Le Nabab... Quelle folie!
--Ne mentez donc pas... Croyez-vous que je sois aveugle, que je ne me
rende pas compte de tous vos maneges? Vous restez seule avec lui tres
longtemps... Tout a l'heure, j'etais la... Je vous voyais..."
Il baissait la voix comme si le souffle lui eut manque... "Que
cherchez-vous donc, etrange et cruelle enfant? Je vous ai vu repousser
les plus beaux, les plus nobles, les plus grands. Ce petit de Gery vous
devore des yeux, vous n'y prenez pas garde, le duc de Mora lui-meme n'a
pas pu arriver jusqu'a votre coeur. Et c'est celui-la, qui est affreux,
vulgaire, qui ne pensait pas a vous, qui a toute autre chose que l'amour
en tete... Vous avez vu comme il est parti! Ou voulez-vous donc en
venir? Qu'attendez-vous de lui?
--Je veux... Je veux qu'il m'epouse. Voila."
Froidement, d'un ton radouci, comme si cet aveu l'avait rapprochee de
celui qu'elle meprisait tant, elle exposa ses motifs. La vie qu'elle
menait la poussait a une impasse. Elle avait des gouts de luxe, de
depense, des habitudes de desordre que rien ne pouvait vaincre et qui la
conduiraient fatalement a la misere, elle et cette bonne Crenmitz, qui
se laissait ruiner sans rien dire. Dans trois ans, quatre ans au plus,
tout serait fini. Et alors les expedients, les dettes, la loque et les
savates des petits menages d'artistes. Ou bien l'amant, l'entreteneur,
c'est-a-dire la servitude et l'infamie.
"Allons donc, dit Jenkins... Et moi, est-ce que je ne suis pas la?
--Tout plutot que vous, fit-elle en se redressant... Non, ce qu'il me
faut, ce que je veux, c'est un mari qui me defende des autres et de
moi-meme, qui me garde d'un tas de choses noires dont j'ai peur quand je
m'ennuie, des gouffres ou je sens que je puis m'abimer, quelqu'un qui
m'aime pendant que je travaille, et releve de faction ma pauvre vieille
fee a bout de forces... Celui-la me convient et j'ai pense a lui des
que je l'ai vu. Il est laid, mais il a l'air bon; puis il est follement
riche et la fortune, a ce degre-la, ce doit etre amusant... Oh! je sais
bien. Il y a sans doute dans sa vie quelque tare qui lui a porte chance.
Tout cet or ne peut pas etre fait d'honnetete... Mais la, vrai, Jenkins,
la main sur ce coeur que vous invoquez si souvent, pensez-vous que je
sois une epouse bien tentante po
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