serieuse a cause du gaspillage installe jadis par le pere, continue
par la fille, deux artistes dedaigneux de l'epargne. Elle eut encore
d'autres difficultes a vaincre. L'atelier lui etait insupportable avec
cette fumee de tabac permanente, le nuage impenetrable pour elle ou les
discussions d'art, le deshabillement des idees se confondaient dans des
tourbillons brillants et vagues, qui lui causaient infailliblement
la migraine. La "blague" surtout lui faisait peur. En sa qualite
d'etrangere, d'ancienne divinite du foyer de la danse, nourrie de
politesses surannees, de galanteries a la Dorat, elle ne la comprenait
pas bien, restait epouvantee devant les exagerations frenetiques, les
paradoxes de ces Parisiens raffines par la liberte de l'atelier.
Elle qui n'avait eu d'esprit que dans la vivacite de ses pieds, cela
l'intimidait, la mettait au rang d'une simple dame de compagnie; et en
regardant cette aimable vieille silencieuse et souriante, assise dans
le jour de la rotonde vitree, son tricot sur les genoux, comme une
bourgeoise de Chardin, ou remontant a pas presses, a cote de sa
cuisiniere, la longue rue de Chaillot, ou se trouvait le plus proche
marche, jamais on n'aurait pu se douter que cette bonne femme avait tenu
des rois, des princes, toute la noblesse et la finance amoureuses, sous
le caprice de ses pointes et de ses ballons.
Paris est plein de ces astres eteints, retombes dans la foule.
Quelques-uns de ces illustres, de ces triomphateurs de jadis, gardent
une rage au coeur; d'autres, au contraire, savourent le passe beatement,
digerent dans un bien-etre ineffable toutes leurs joies glorieuses et
finies, ne demandent que du repos, le silence et l'ombre, de quoi se
souvenir et se recueillir, si bien que, quand ils meurent, on est tout
etonne d'apprendre qu'ils vivaient encore.
Constance Crenmitz etait de ces heureux. Mais quel singulier menage
d'artistes que celui de ces deux femmes, aussi enfants l'une que
l'autre, mettant en commun l'inexperience et l'ambition, la tranquillite
d'une destinee accomplie et la fievre d'une vie en pleine lutte, toutes
les differences visibles meme dans la tournure tranquille de cette
blonde, toute blanche comme une rose deteinte, paraissant habillee sous
ses couleurs claires d'un reste de feu de bengale, et cette brune aux
traits corrects, enveloppant presque toujours sa beaute d'etoffes
sombres, aux plis simples, comme d'un semblant de virilite.
L'imprevu, le caprice, l'i
|