he, tout pret pour ces deplacements
difficiles. Madame Jansoulet ne pouvait monter l'escalier, qui
l'etourdissait; elle ne voulut pas des ascenseurs que son poids faisait
crier; d'ailleurs, elle ne marchait jamais. Enorme, boursouflee au point
qu'il etait impossible de lui assigner un age, entre vingt-cinq ans et
quarante, la figure assez jolie, mais tous les traits deformes, des
yeux morts sous des paupieres tombantes et striees comme des coquilles,
fagotee dans des toilettes d'exportation, chargee de diamants et de
bijoux en maniere d'idole hindoue, c'etait le plus bel echantillon
de ces Europeennes transplantees qu'on appelle des Levantines. Race
singuliere de creoles obeses, que le langage seul et la costume
rattachent a notre monde, mais que l'Orient enveloppe de son atmosphere
stupefiante, des poisons subtils de son air opiace ou tout se detend, se
relache, depuis les tissus de la peau jusqu'aux ceintures des vetements,
jusqu'a l'ame meme et la pensee.
Celle-ci etait fille d'un Belge immensement riche qui faisait a Tunis le
commerce du corail, et chez qui Jansoulet, a son arrivee dans le pays,
avait ete employe pendant quelques mois. Mademoiselle Afchin, alors une
delicieuse poupee d'une dizaine d'annees, eblouissante de teint, de
cheveux, de sante, venait souvent chercher son pere au comptoir dans le
grand carrosse attele de mules qui les emmenait a leur belle villa de
la Marse, aux environs de Tunis. Cette gamine, toujours decolletee,
aux epaules eclatantes, entrevue dans un cadre luxueux, avait ebloui
l'aventurier; et, des annees apres, lorsque devenu riche, favori du
bey, il songea a s'etablir, ce fut a elle qu'il pensa. L'enfant s'etait
change en une grosse fille, lourde et blanche. Son intelligence, deja
bien obtuse, s'etait encore obscurcie dans l'engourdissement d'une
existence de loir, l'incurie d'un pere tout aux affaires, l'usage des
tabacs satures d'opium et des confitures de roses, la torpeur de son
sang flamand compliquee de paresse orientale; en outre, mal elevee,
gourmande, sensuelle, altiere, un bijou levantin perfectionne.
Mais Jansoulet ne vit rien de tout cela.
Pour lui elle etait, elle fut toujours, jusqu'a son arrivee a Paris, une
creature superieure, une personne du plus grand monde, une demoiselle
Afchin; il lui parlait avec respect, gardait vis-a-vis d'elle une
attitude un peu courbee et timide, lui donnait l'argent sans compter,
satisfaisait ses fantaisies les plus couteuses, ses cap
|