tiste, lancee dans les
spheres les plus hautes, et cette petite bourgeoise perdue au fond d'un
bourg? Des rapports d'enfance et d'amitie, des souvenirs communs, la
grande cour de l'institution Belin, ou elles avaient joue trois ans
ensemble. Paris est plein de ces rencontres. Un nom prononce au hasard
de la conversation eveille tout a coup cette question stupefaite:
"Vous la connaissez donc?
--Si je connais Felicia... Mais nous etions voisines de pupitre en
premiere classe. Nous avions le meme jardin. Quelle bonne fille, belle,
intelligente..."
Et, voyant le plaisir qu'on prenait a l'ecouter, Aline rappelait
les temps si proches qui deja lui faisaient un passe, charmeur et
melancolique comme tous les passes. Elle etait bien seule dans la vie,
la petite Felicia. Le jeudi, quand on criait les noms au parloir,
personne pour elle; excepte de temps en temps une bonne dame un peu
ridicule, une ancienne danseuse, disait-on, que Felicia appelait la Fee.
Elle avait ainsi des surnoms pour tous ceux qu'elle affectionnait et
qu'elle transformait dans son imagination. Pendant les vacances on se
voyait. Madame Joyeuse, tout en refusant d'envoyer Aline dans l'atelier
de M. Ruys, invitait Felicia pour des journees entieres, journees bien
courtes, entremelees de travail, de musique, de reves a deux, de jeunes
causeries en liberte. "Oh! quand elle me parlait de son art, avec cette
ardeur qu'elle mettait a tout, comme j'etais heureuse de l'entendre...
Que de choses j'ai comprises par elle, dont je n'aurais jamais eu aucune
idee! Encore maintenant, quand nous allons au Louvre avec papa, ou a
l'exposition du 1er mai, cette emotion particuliere que vous cause une
belle sculpture, un beau tableau, me reporte tout de suite a Felicia.
Dans ma jeunesse elle a represente l'art, et cela allait bien a sa
beaute, a sa nature un peu decousue mais si bonne, ou je sentais quelque
chose de superieur a moi, qui m'enlevait tres haut sans m'intimider...
Elle a cesse de me voir tout a coup... Je lui ai ecrit, pas de
reponse... Ensuite la gloire est venue pour elle, pour moi les grands
chagrins, les devoirs absorbants... Et de toute cette amitie, bien
profonde pourtant, puisque je n'en puis parler sans... "trois, quatre,
cinq..." il ne reste plus rien que de vieux souvenirs a remuer comme une
cendre eteinte..."
Penchee sur son travail, la vaillante fille se depechait de compter
ses points, d'enfermer son chagrin dans les dessins capricieux de sa
tap
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