on bonheur... Nous nous
battrons, Monsieur, nous nous battrons, repetait-il excite par le
calme pacifique de son rival... J'aime depuis longtemps mademoiselle
Joyeuse... Cet amour est le but, la gaiete et la force d'une existence
tres dure, douloureuse par bien des cotes. Je n'ai que cela au monde, et
je prefererais mourir que d'y renoncer."
Bizarrerie de l'ame humaine! Paul n'aimait pas cette charmante Aline.
Tout son coeur etait a une autre. Il y pensait, seulement, comme a une
amie, la plus adorable des amies. Eh bien! l'idee que Maranne s'en
occupait, qu'elle repondait sans doute a cette attention amoureuse, lui
procura le frisson jaloux d'un depit, et ce fut assez vivement qu'il
demanda si mademoiselle Joyeuse connaissait ce sentiment d'Andre et
l'avait autorise de quelque facon a proclamer ainsi ses droits.
"Oui, Monsieur, mademoiselle Elise sait que je l'aime, et avant vos
frequentes visites...
--Elise... c'est d'Elise que vous parlez?
--Et de qui voulez-vous donc que ce soit?... Les deux autres sont trop
jeunes..."
Il entrait bien dans les traditions de la famille, celui-la. Pour lui,
les vingt ans de Bonne Maman, sa grace triomphante etaient dissimules
par un surnom plein de respect et ses attributions providentielles.
Une tres courte explication ayant calme l'esprit d'Andre Maranne, il
presenta ses excuses a de Gery, le fit asseoir sur le fauteuil en bois
sculpte qui servait a la pose, et leur causerie prit vite un caractere
intime et sympathique, amene par l'aveu si vif du debut. Paul confessa
qu'il etait amoureux, lui aussi, et qu'il ne venait si souvent chez
M. Joyeuse que pour parler de celle qu'il aimait avec Bonne Maman qui
l'avait connue autrefois.
"C'est comme moi, dit Andre. Bonne Maman a toutes mes confidences;
mais nous n'avons encore rien ose dire au pere. Ma situation est trop
mediocre... Ah! quand j'aurai fait jouer _Revolte_!"
Alors ils parlerent de ce fameux drame _Revolte!_ auquel il travaillait
depuis six mois, le jour, la nuit, qui lui avait tenu chaud pendant
tout l'hiver, un hiver bien rude, mais dont la magie de la composition
corrigeait les rigueurs dans le petit atelier qu'elle transformait.
C'est la, dans cet etroit espace, que tous les heros de sa piece
etaient apparus au poete comme des kobolds familiers tombes du toit ou
chevauchant des rayons de lune, et avec eux les tapisseries de haute
lisse, les lustres etincelants, les fonds de parc aux perrons lumineux,
tout
|