ous sommes entres.
Le petit groom du marquis, Tom Bois-l'Hery comme on l'appelle ici, avait
voulu rire avec ce malotru d'Irlandais qui--sur une raillerie de gamin
Parisien--lui avait riposte par un terrible coup de poing de Belfast au
milieu de la figure.
--Saucisson a pattes, moa!... Saucisson a a pattes, moa!..." repetait le
cocher en suffoquant, tandis qu'on emportait son innocente victime dans
la piece a cote, ou ces dames et demoiselles etaient en train du lui
bassiner le nez. L'agitation s'apaisa bientot grace a notre arrivee,
grace aussi aux sages paroles de M. Barreau, un homme d'age, pose et
majestueux, dans mon genre. C'est le cuisinier du Nabab, un ancien chef
du cafe Anglais que Cardailhac, le directeur des Nouveautes, a procure a
son ami. A le voir en habit, cravate blanche, sa figure pleine et rasee,
vous l'auriez pris pour un des grands fonctionnaires de l'Empire. Il est
vrai qu'un cuisinier dans une maison ou l'on a tous les matins la table
mise pour trente personnes, plus le couvert de Madame, tout cela se
nourrissant de fin et de surfin, n'est pas un fricoteur ordinaire. Il
touche des appointements de colonel, loge, nourri, et puis la gratte!
On ne s'imagine pas ce que c'est que la gratte dans une boite comme
celle-ci. Aussi chacun lui parlait-il respectueusement, avec les egards
dus a un homme de son importance: "Monsieur Barreau" par-ci, "Mon cher
monsieur Barreau" par la. C'est qu'il ne faut pas s'imaginer que les
gens de maison entre eux soient tous comperes et compagnons. Nulle part
plus que chez eux on n'observe la hierarchie. Ainsi j'ai bien vu a
la soiree de M. Noel que les cochers ne frayaient pas avec leurs
palefreniers, ni les valets de chambre avec les valets de pied et les
chasseurs, pas plus que l'argentier, le maitre d'hotel ne se melaient
au bas office; et lorsque M. Barreau faisait une petite plaisanterie
quelconque, c'etait plaisir de voir comme ses sous-ordres avaient l'air
de s'amuser. Je ne suis pas contre ces choses-la. Bien au contraire.
Comme disait notre doyen: "Une societe sans hierarchie, c'est une maison
sans escalier." Seulement le fait m'a paru bon a relater dans mes
memoires.
La soiree, je n'ai pas besoin de le dire, ne jouit de tout son eclat
qu'au retour de son plus bel ornement, les dames et demoiselles qui
etaient allees soigner le petit Tom, femmes de chambre aux cheveux
luisants et pommades, femmes de charge en bonnets garnis de rubans,
negresses, gouvernantes
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