e doute point qu'il ne les ait imprimees dans son imagination. C'est un
dangereux personnage. Il y en a qui ne vont point sans leurs mains,
mais on peut dire de lui qu'il ne va point sans ses yeux ni sans
ses oreilles." Il est aise, a travers l'exageration du portrait,
d'apercevoir la ressemblance. Moliere fut une fois vu durant plusieurs
heures, assis a bord du coche d'Auxerre, a attendre le depart. Il
observait ce qui se passait autour de lui; mais son observation etait
si serieuse en face des objets, qu'elle ressemblait a l'abstraction du
geometre, a la reverie du fabuliste.
Le prince de Conti, qui n'etait pas janseniste encore, avait fait jouer
plusieurs fois Moliere et la troupe de _l'Illustre Theatre_, en son
hotel, a Paris. Etant en Languedoc a tenir les Etats, il manda son
ancien condisciple, qui vint de Pezenas et de Narbonne a Beziers ou a
Montpellier[5], pres du prince. Le poete fit oeuvre de son repertoire le
plus varie, de ses canevas a l'italienne, de _l'Etourdi_, sa derniere
piece, et il y ajouta la charmante comedie du _Depit amoureux_. Le
prince, enchante, voulut se l'attacher comme secretaire et le faire
succeder au poete Sarasin qui venait de mourir; Moliere refusa par
attachement pour sa troupe, par amour de son metier et de la vie
independante. Apres quelques annees encore de courses dans le Midi, ou
on le voit se lier d'amitie avec le peintre Mignard a Avignon, Moliere
se rapprocha de la capitale et sejourna a Rouen, d'ou il obtint, non
pas, comme on l'a conjecture, par la protection du prince de Conti,
devenu penitent sous l'eveque d'Alet des 1655, mais par celle de
Monsieur, duc d'Orleans, de venir jouer a Paris sous les yeux du roi.
Ce fut le 24 octobre 1658, dans la salle des gardes au vieux Louvre,
en presence de la cour et aussi des comediens de l'hotel de Bourgogne,
perilleux auditoire, que Moliere et sa troupe se hasarderent
a representer _Nicomede_. Cette tragi-comedie achevee avec
applaudissement, Moliere, qui aimait a parler comme orateur de la troupe
(_grex_), et qui en cette occasion decisive ne pouvait ceder ce role a
nul autre, s'avanca vers la rampe, et, apres avoir "remercie Sa Majeste
en des termes tres-modestes de la bonte qu'elle avait eue d'excuser ses
defauts et ceux de sa troupe, qui n'avoit paru qu'en tremblant devant
une assemblee si auguste, il lui dit que l'envie qu'ils avoient eue
d'avoir l'honneur de divertir le plus grand roi du monde leur avoit fait
oublier que Sa Ma
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