Ralant, brise, livide, et mort plus qu'a moitie,
Et qui disait:--A boire, a boire par pitie!--
Mon pere, emu, tendit a son housard fidele
Une gourde de rhum qui pendait a sa selle,
Et dit:--Tiens, donne a boire a ce pauvre blesse.--
Tout a coup, au moment ou le housard baisse
Se penchait vers lui, l'homme, une espece de Maure,
Saisit un pistolet qu'il etreignait encore,
Et vise au front mon pere en criant: Caramba!
Le coup passa si pres que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un ecart en arriere.
--Donne-lui tout de meme a boire, dit mon pere.
LE CRAPAUD
Que savons-nous? qui donc connait le fond des choses?
Le couchant rayonnait dans les nuages roses;
C'etait la fin d'un jour d'orage, et l'occident
Changeait l'ondee en flamme en son brasier ardent;
Pres d'une orniere, au bord d'une flaque de pluie,
Un crapaud regardait le ciel, bete eblouie;
Grave, il songeait; l'horreur contemplait la splendeur.
(Oh! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur?
Helas! le bas-empire est couvert d'Augustules,
Les Cesars de forfaits, les crapauds de pustules,
Comme le pre de fleurs et le ciel de soleils!)
Les feuilles s'empourpraient dans les arbres vermeils;
L'eau miroitait, melee a l'herbe, dans l'orniere;
Le soir se deployait ainsi qu'une banniere;
L'oiseau baissait la voix dans le jour affaibli;
Tout s'apaisait, dans l'air, sur l'onde; et, plein d'oubli,
Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colere,
Doux, regardait la grande aureole solaire.
Peut-etre le maudit se sentait-il beni;
Pas de bete qui n'ait un reflet d'infini;
Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
L'eclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche;
Pas de monstre chetif, louche, impur, chassieux,
Qui n'ait l'immensite des astres dans les yeux.
Un homme qui passait vit la hideuse bete,
Et, fremissant, lui mit son talon sur la tete;
C'etait un pretre ayant un livre qu'il lisait;
Puis une femme, avec une fleur au corset,
Vint et lui creva l'oeil du bout de son ombrelle;
Et le pretre etait vieux, et la femme etait belle.
Vinrent quatre ecoliers, sereins comme le ciel.
--J'etais enfant, j'etais petit, j'etais cruel;--
Tout homme sur la terre, ou l'ame erre asservie,
Peut commencer ainsi le recit de sa vie.
On a le jeu, l'ivresse et l'aube dans les yeux,
On a sa mere, on est des ecoliers joyeux,
De petits hommes gais, respirant l'atmospher
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