pour observer l'ennemi, ils dessechaient la citerne, passaient par ses
conduits souterrains, et allaient sortir dans un village qui etait dans
leur dependance. Consuelo se rappelait que, selon la chronique du pays,
le village qui couvrait la colline appelee Schreckenstein depuis
l'incendie dependait de la forteresse des Geants, et avait avec lui de
secretes intelligences en temps de siege. Elle etait donc dans la logique
et dans la verite en cherchant cette communication et cette issue.
Elle profita de l'absence de Zdenko pour descendre dans le puits.
Auparavant elle se mit a genoux, recommanda son ame a Dieu, fit naivement
un grand signe de croix, comme elle l'avait fait dans la coulisse du
theatre de San-Samuel avant de paraitre pour la premiere fois sur la
scene; puis elle descendit bravement l'escalier tournant et rapide,
cherchant a la muraille les points d'appui qu'elle avait vu prendre a
Zdenko, et ne regardant point au-dessous d'elle de peur d'avoir le
vertige. Elle atteignit la chaine de fer sans accident; et lorsqu'elle
l'eut saisie, elle se sentit plus tranquille, et eut le sang-froid de
regarder au fond du puits. Il y avait encore de l'eau, et cette
decouverte lui causa un instant d'emoi. Mais la reflexion lui vint
aussitot. Le puits pouvait etre, tres-profond; mais l'ouverture du
souterrain qui amenait Zdenko ne devait etre situee qu'a une certaine
distance au-dessous du sol. Elle avait deja descendu cinquante marches
avec cette adresse et cette agilite que n'ont pas les jeunes filles
elevees dans les salons, mais que les enfants du peuple acquierent dans
leurs jeux, et dont ils conservent toute leur vie la hardiesse confiante.
Le seul danger veritable etait de glisser sur les marches humides.
Consuelo avait trouve dans un coin, en furetant, un vieux chapeau a
larges bords que le baron Frederick avait longtemps porte a la chasse.
Elle l'avait coupe, et s'en etait fait des semelles qu'elle avait
Attachees a ses souliers avec des cordons en maniere de cothurnes.
Elle avait remarque une chaussure analogue aux pieds de Zdenko dans sa
derniere expedition nocturne. Avec ces semelles de feutre, Zdenko
marchait sans faire aucun bruit dans les corridors du chateau, et c'est
pour cela qu'il lui avait semble glisser comme une ombre plutot que
marcher comme un homme. C'etait aussi jadis la coutume des Hussites
de chausser ainsi leurs espions, et meme leurs chevaux, lorsqu'ils
effectuaient une surprise chez l'ennemi.
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