; en haut, l'espace.
Nous avions deja depasse la ville, et nous etions dans
l'espece de desert qui separe le Croisic du bourg de Batz.
Figurez-vous, mon cher oncle, une lande de deux lieues
[25]remplie par le sable luisant qui se trouve au bord de la
mer. Ca et la quelques rochers y levaient leurs tetes, et
vous eussiez dit des animaux gigantesques couches dans
les dunes. Le long de la mer apparaissaient quelques
recifs autour desquels se jouait l'eau, en leur donnant
[30]l'apparence de grandes roses blanches flottant sur l'etendue
liquide et venant se poser sur le rivage. En voyant
cette savane terminee par l'Ocean sur la droite, bordee
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sur la gauche par le grand lac que fait l'irruption de la
mer entre le Croisic et les hauteurs sablonneuses de Guerande,
au bas desquelles se trouvent des marais salants
denues de vegetation, je regardai Pauline en lui demandant
[5]si elle se sentait le courage d'affronter les ardeurs
du soleil et la force de marcher dans le sable.
--J'ai des brodequins, allons-y, me dit-elle en me montrant
la tour de Batz qui arretait la vue par une construction
placee la comme une pyramide, mais une pyramide
[10]fuselee, decoupee, une pyramide si poetiquement ornee,
qu'elle permettait a l'imagination d'y voir la premiere
des ruines d'une grande ville asiatique. Nous fimes
quelques pas pour aller nous asseoir sur la portion d'une
roche qui se trouvait encore ombree; mais il etait onze
[15]heures du matin, et cette ombre, qui cessait a nos pieds,
s'effacait avec rapidite.
--Combien ce silence est beau, me dit-elle, et comme
la profondeur en est etendue par le retour egal du
fremissement de la mer sur cette plage.
[20]--Si tu veux livrer ton entendement aux trois immensites
qui nous entourent, l'eau, l'air et les sables, en
ecoutant exclusivement le son repete du flux et du reflux,
lui repondis-je, tu n'en supporteras pas le langage, tu
croiras y decouvrir une pensee qui t'accablera. Hier,
[25]au coucher du soleil, j'ai eu cette sensation; elle m'a
brise.
--Oh! oui, parlons, dit-elle apres une longue pause.
Aucun orateur n'est plus terrible. Je crois decouvrir les
causes des harmonies qui nous environnent, reprit-elle.
[30]Ce paysage, qui n'a que trois couleurs tranchees, le jaune
brillant des sables, l'azur du ciel et le vert uni de la mer,
est grand sans etre sauvage, il est immense, sans etre
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desert; il est monotone, sans etre fatigant; il n'a que trois
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