s coquillages, et du pain, si le voulait la mer.
--Buvez-vous quelquefois du vin? lui demandai-je.
--Trois ou quatre fois par an.
--Eh bien! vous en boirez aujourd'hui, vous et votre
[10]pere, et nous vous enverrons un pain blanc.
--Vous etes bien bon, monsieur.
--Nous vous donnerons a diner si vous voulez nous conduire
par le bord de la mer jusqu'a Batz, ou nous irons
voir la tour qui domine le bassin et les cotes entre Batz
[15]et le Croisic.
--Avec plaisir, nous dit-il. Allez droit devant vous,
en suivant le chemin dans lequel vous etes, je vous y
retrouverai apres m'etre debarrasse de mes agres et de ma
peche.
[20]Nous fimes un meme signe de consentement, et il
s'elanca joyeusement vers la ville. Cette rencontre nous
maintint dans la situation morale ou nous etions, mais
elle en avait affaibli la gaiete.
--Pauvre homme, me dit Pauline avec cet accent qui
[25]ote a la compassion d'une femme ce que la pitie peut
avoir de blessant, n'a-t-on pas honte de se trouver heureux
en voyant cette misere?
--Rien n'est plus cruel que d'avoir des desirs impuissants,
lui repondis-je. Ces deux pauvres etres, le pere et
[30]le fils, ne sauront pas plus combien ont ete vives nos
sympathies que le monde ne sait combien leur vie est belle,
car ils amassent des tresors dans le ciel.
Page 230
~-Le pauvre pays! dit-elle en me montrant le long
d'un champ environne d'un mur a pierres seches, des
bouses de vache appliquees symetriquement. J'ai demande
ce que c'etait que cela. Une paysanne, occupee
[5]a les coller, m'a repondu qu'elle _faisait du bois_.
Imaginez-vous, mon ami, que, quand ces bouses sont sechees,
ces pauvres gens les recoltent, les entassent et s'en chauffent.
Pendant l'hiver, on les vend comme on vend des
mottes de tan. Enfin, que crois-tu que gagne la couturiere
[10]la plus cherement payee? Cinq sous par jour, dit-elle
apres une pause; mais on la nourrit.
--Vois, lui dis-je, les vents de mer dessechent ou renversent
tout, il n'y a point d'arbres; les debris des embarcations
hors de service se vendent aux riches, car le
[15]prix des transports les empeche sans doute de consommer
le bois de chauffage dont abonde la Bretagne Ce pays
n'est beau que pour les grandes ames; les gens sans coeur
n'y vivraient pas; il ne peut etre habite que par des
poetes ou par des bernicles. N'a-t-il pas fallu que l'entrepot
[20]du sel se placat sur ce rocher pour qu'il fut habite?
D'un cote, la mer; ici des sables
|