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en effet; ce n'est point un present que je veux lui faire,
[20]c'est une dette que je lui paye, car je suis cause de la ruine
de Croisilles, et il est juste que je la repare. Mon pere ne
cedera pas aisement; il faudra que vous insistiez et que
vous ayez un peu de courage; je n'en manquerai pas de
mon cote. Comme personne au monde, excepte moi, n'a
[25]de droit sur la somme dont je vous parle, personne ne
saura jamais de quelle maniere elle aura passe entre vos
mains. Vous n'etes pas tres riche non plus, je le sais, et
vous pouvez craindre qu'on ne s'etonne de vous voir doter
ainsi votre neveu; mais songez que mon pere ne vous
[30]connait pas, que vous vous montrez fort peu par la ville,
et que par consequent il vous sera facile de feindre que
vous arrivez de quelque voyage. Cette demarche vous
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coutera sans doute, il faudra quitter votre fauteuil et
prendre un peu de peine; mais vous ferez deux heureux,
madame, et, si vous avez jamais connu l'amour; j'espere
que vous ne me refuserez pas.
[5]La bonne dame, pendant ce discours, avait ete tour a
tour surprise, inquiete, attendrie et charmee. Le dernier
mot la persuada.
--Oui, mon enfant, repeta-t-elle plusieurs fois, je sais
ce que c'est, je sais ce que c'est!
[10]En parlant ainsi, elle fit un effort pour se lever; ses
jambes affaiblies la soutenaient a peine; Julie s'avanca
rapidement, et lui tendit la main pour l'aider; par un
mouvement presque involontaire, elles se trouverent en
un instant dans les bras l'une de l'autre. Le traite fut
[15]aussitot conclu; un cordial baiser le scella d'avance, et
toutes les confidences necessaires s'ensuivirent sans peine.
Toutes les explications etant faites, la bonne dame tira
de son armoire une venerable robe de taffetas qui avait
ete sa robe de noce. Ce meuble antique n'avait pas moins
[20]de cinquante ans, mais pas une tache, pas un grain de
poussiere ne l'avait deflore; Julie en fut dans l'admiration.
On envoya chercher un carrosse de louage, le plus beau qui
fut dans toute la ville. La bonne dame prepara le discours
qu'elle devait tenir a M. Godeau; Julie lui apprit de quelle
[25]facon il fallait toucher le coeur de son pere, et n'hesita pas
a avouer que la vanite etait son cote vulnerable.
--Si vous pouviez imaginer, dit-elle, un moyen de
flatter ce penchant, nous aurions partie gagnee.
La bonne dame reflechit profondement, acheva sa
[30]toilette sans mot dire, serra la main de sa fut
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