Un troisieme, beaucoup moins grand, traverse du reste trop tot par la
mort, s'avisa d'etre un vrai classique parmi les pseudo-classiques qui
l'entouraient, retrouva les vrais anciens et la vraie beaute antique,
et donna au XVIIIe siecle ce que, sans lui, il n'aurait pas, un poete
ecrivant en vers.
Enfin, tres penetre des grandes lecons de ces trois artistes, tres
digne d'eux, en meme temps profondement original, comprenant la nature,
comprenant l'art antique, capable d'attendrir et de troubler, et aussi
croyant que la litterature et l'art devaient redevenir francais et
chretiens, apportant une poetique nouvelle, et, ce qui vaut mieux, une
imagination a renouveler presque toutes les formes de l'art litteraire,
un grand poete apparait vers 1800, ferme le XVIIIe siecle, quoique en
retenant quelque chose, et annonce et presque apporte avec lui tout le
dix-neuvieme[3].
[Note 3: Voir dans nos _Etudes litteraires sur le XIXe siecle_
l'article sur _Chateaubriand_. (Societe francaise d'Imprimerie et de
Librairie.)]
Le XVIIIe siecle, au regard de la posterite, s'obscurcira donc,
s'offusquera, et semblera peu a peu s'amincir entre les deux grands
siecles dont il est precede et suivi.--Cependant n'oublions point, et
qu'il a sa vivacite, sa grace et son joli tour dans les menus objets
litteraires, et qu'il a aussi ses nouveautes, ses inventions qui lui
sont propres. Il a cree des genres de litterature, ou, si l'on veut, et
c'est mieux dire, il a ressuscite des genres de litterature que l'on
avait, a tres peu pres, laisse deperir. Il a presque cree la litterature
politique; il a presque cree la litterature scientifique; il a presque
cree la litterature historique. Montesquieu n'est pas seulement un homme
de l'ecole de 1715, et meme il n'en a pas ete longtemps; et il a fonde
une ecole lui-meme. Voltaire a fait trop de tragedies; mais il a
_essaye_ un Essai sur les moeurs, et, trop incapable d'impartialite pour
y reussir, il a du moins, a qui aura plus de sang-froid, montre le vrai
chemin. Buffon enfin a fait entrer une si belle litterature dans la
science, qu'il a fait entrer la science dans la litterature, et que,
desormais, il est comme interdit d'etre un grand naturaliste sans savoir
exposer avec clarte, gravite et belle ordonnance. Ces agrandissements du
domaine litteraire sont les vraies conquetes du XVIIIe siecle. Par elles
il est grand encore, et attirera les regards de l'humanite.
On remarquera peut-etre avec malice
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