t des
passions contre la conscience, est que la victoire se declare le plus
souvent pour le parti qui choque tout a la fois et la conscience et
l'interet." Il y a la quelque chose de si monstrueux que le bon sens en
est comme etourdi, et il ne faut pas s'etonner que "les paiens aient
range tous ces gens-la au nombre des fanatiques, des enthousiastes, des
energumenes et de tous ceux en general qu'on croyait agites d'une divine
fureur." Certes Bayle ne se fait aucune gloire, il ne se fait meme aucun
compliment d'etre un honnete homme: il croit simplement qu'il n'est pas
un fou. Entre les Diderot, les Rousseau et les Voltaire, il eut ete
comme effare, et se serait demande quelle divine fureur agitait tous ces
nevropathes.
Enfin il est homme de lettres, et rien autre chose qu'homme de lettres.
Les hommes du XVIIIe siecle ne l'etaient guere. Ils etaient gens qui
avaient des lettres, mais qui songeaient a bien autre chose, gens
persuades qu'ils etaient faits pour l'action et pour une action
immediate sur leurs semblables, gens qui avaient la pretention de mener
leur siecle quelque part, et ils ne savaient pas trop a quel endroit;
mais ils l'y menaient avec vehemence; gens qui etaient capables d'etre
sceptiques tour a tour sur toutes choses, excepte sur leur propre
importance; gens qui faisaient leur metier d'hommes de lettres, a la
condition, avec le privilege, et dans la perpetuelle impatience d'en
sortir.
--Bayle n'en sort jamais. Il est homme de lettres sans reserve, sans
lassitude, sans degout, sans arriere-pensee, et sans autre ambition
que de continuer de l'etre. Rien au monde ne vaut pour lui la vie de
labeurs, de recherches desinteressees et de tranquille mepris du monde
qu'il a choisie. Il a ce signe, cette marque du veritable homme de
lettres qu'il songe a la posterite, c'est-a-dire aux deux ou trois
douzaines de curieux qui ouvriront son livre un siecle apres sa mort.
"Que craignez-vous? Pourquoi vous tourmentez-vous?.. Avez-vous peur que
les siecles a venir ne se fachent en apprenant que vos veilles ne vous
ont pas enrichi? Quel tort cela peut-il faire a votre memoire? Dormez en
repos. Votre gloire n'en souffrira pas... Si l'on dit que vous vous etes
peu soucie de la fortune, content de vos livres et de vos etudes, et de
consacrer votre temps a l'instruction du public, ne sera-ce pas un tres
bel eloge?... Les gens du monde aimeraient autant etre condamnes aux
galeres qu'a passer leur vie a l'entour des pupit
|